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à en reproduire la lettre, et confondant le calme avec l’inertie, la simplicité avec les intentions négatives, il achevait, à grand renfort de patience, son Léonidas aux Thermopyles, tableau froid à l’excès, où le mérite de quelques détails ne saurait racheter la nullité de l’expression et l’insuffisance prétentieuse des formes générales.

Peut-être David lui-même éprouva-t-il quelque remords d’avoir exagéré à ce point les principes de sa méthode. On raconte, il est vrai, que peu d’instans avant de mourir il citait encore, comme un morceau de premier ordre, la tête du Léonidas ; mais il est assez présumable que dès longtemps les autres parties du tableau avaient cessé de lui inspirer le même orgueil. M. Delécluze, entre autres observations sur le Léonidas aux Thermopyles, fait remarquer avec raison l’espèce d’incohérence matérielle que présentent les groupes peints en 1800 et ceux qui ne furent terminés que quelques années plus tard. Les uns sont traités dans un goût expressément archaïque, les autres, tels que les deux jeunes soldats détachant leurs armes suspendues à un arbre, accusent l’étude scrupuleuse du modèle vivant. David avait-il reconnu les graves inconvéniens de sa première manière et voulait-il déjà faire justice de ses propres entraînemens ? On serait tenté de le penser, à moins qu’il ne faille voir dans cette disparate qu’un souvenir involontaire des travaux pour lesquels l’artiste avait interrompu son Léonidas.

David venait en effet, dans l’intervalle, de peindre le Couronnement de Napoléon et la Distribution des aigles, et ces sujets de l’histoire contemporaine lui avaient imposé l’obligation de consulter la nature de fort près. Déjà, dans son Portrait équestre du premier consul, il s’était permis quelque restriction à son système d’idéalisme ; ce système, il s’agissait maintenant de l’abandonner complètement et de revenir, sous peine de manquer le but, à la méthode plus large et plus naturelle que le maître avait suivie dans les œuvres de sa seconde manière. Malheureusement quelque chose des habitudes contractées depuis lors vint combattre et paralyser en partie les bonnes résolutions de David. Nous ne parlons pas de la Distribution des aigles, tableau tout à fait manqué, que personne sans doute ne songerait à défendre ; mais nous ne pouvons, même en face du Couronnement, ne pas apercevoir ce qu’il y a d’incomplet et d’incertain dans ces tentatives faites par David pour se renouveler et réduire ses prétentions accoutumées. On a dit maintes fois que la partie du Couronnement qui avoisine l’autel est un chef-d’œuvre de vérité. Chef-d’œuvre, soit, à ne considérer que le reste du tableau ; mais que l’on choisisse d’autres termes de comparaison, que l’on rapproche, par exemple, le groupe de Pie VII et des cardinaux du portrait de Léon X ou de la Messe de Bolsène de Raphaël, combien cette vérité semblera-t-elle