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forme sans inclination naturelle vers un autre but de l’art, telle est, il faut le redire, la qualité supérieure, tel est le caractère essentiel de ce talent ; c’est de là que lui viennent son genre de mérite et ses défauts. Aussi, tout en captivant l’attention, ne réussit-il jamais à émouvoir profondément. Avec beaucoup moins d’imagination, David a quelque chose des goûts et des habitudes morales de Lebrun. Impuissant comme le premier peintre de Louis XIV à rendre les affections de l’âme, comme lui, il n’évite, en poursuivant la grandeur, ni l’apparat, ni les effets de théâtre, et, quelque dissemblables que soient les moyens employés, il n’est pas impossible de démêler sous la simplicité un peu fastueuse de David les instincts qui se traduisent chez Lebrun par l’ostentation formelle. Il serait oiseux d’ailleurs de pousser plus loin le parallèle, et d’insister sur l’analyse d’un talent que ses œuvres principales nous ont suffisamment expliqué. La part une fois faite à l’habileté et aux imperfections personnelles de David, il reste à apprécier l’étendue de son influence sur les artistes qu’il a formés, à rechercher jusqu’à quel point cette influence a pu être féconde, et dans quelle mesure l’école française la subit encore aujourd’hui.


II

Lorsqu’on examine l’ensemble des tableaux, des sculptures, des objets d’art de toute espèce, produits en France depuis les dernières années du règne de Louis XVI jusqu’à la fin de l’empire, il est difficile de ne pas être fatigué de leur apparence uniforme. Partout ou presque partout une soumission aveugle aux doctrines régnantes, une rivalité de monotonie pour ainsi dire, et, sous des dehors assez froids, un classicisme fanatique ! A ne parler que de la peinture, supprimez les batailles de Gros, les toiles de Prud’hon, de Granet, les premiers ouvrages de M. Ingres : où trouverez-vous des signes très évidens d’indépendance ? De là ces accusations de despotisme tant de fois portées contre David, de là les reproches auxquels les travaux de ses imitateurs servent communément de prétexte. Est-il bien juste pourtant d’attribuer ainsi au maître tous les torts des disciples, et, en le rendant responsable de l’ennui que peut nous donner son école, faut-il fermer les yeux à certaines qualités qu’elle lui doit ? Il est clair que sans les exemples de David une foule d’artistes médiocres eussent laissé en repos les héros de l’histoire ancienne et les monumens de la statuaire grecque ou romaine. Où serait le profit après tout, puisqu’ils n’eussent fait qu’appliquer à la reproduction d’autres modèles leur chétive habileté ? Mais sans ces mêmes exemples, quelques talens véritables se seraient-ils aussi sûrement mis