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J’arrive maintenant à la lettre de M. Guérin de Walderbasch, ancien lieutenant-colonel au 3e régiment de spahis, qui a commandé la cavalerie pendant la glorieuse et habile expédition de Tougourt.

« Gunetrange, près Thionville, le 12 mars 1855.

« Lorsque j’ai eu l’honneur de vous voir à Paris, mon général, vous avez bien voulu me demander des renseignemens sur la manière dont les chevaux d’Afrique se sont comportés pendant l’expédition de Tougourt, où je commandais la cavalerie.

« Dans les nombreuses courses que j’ai faites en Afrique, j’ai eu occasion d’observer la sobriété et la dureté du cheval arabe ; mais je ne l’avais jamais vu soumis encore à une aussi rude épreuve que celle que notre cavalerie a subie dans cette marche sur Tougourt et dans le Souf.

« Le 20 novembre 1854, sous les ordres du colonel Desvaux, qui commandait les colonnes du sud, je suis parti de Biskra avec deux escadrons du 3e chasseurs d’Afrique et deux du 3e de spahis, présentant ensemble un effectif de cinq cent cinquante chevaux. Le goum qui faisait partie de la colonne en comptait près de six cents.

« Pendant cette expédition, qui a duré prés de trois mois, les chevaux de la cavalerie régulière ont vécu sans foin ni paille avec quatre kilos d’orge par jour, et sont restés deux et trois jours sans boire.

« Malgré ces privations et des marches fatigantes dans les dunes de sable, pendant lesquelles ils étaient chargés de trois et cinq jours de vivres et d’orge, les chevaux n’ont pas dépéri.

« Mais les chevaux du goum ont offert un exemple encore bien plus frappant de vigueur et de sobriété, car vous le savez, mon général, le cavalier arabe ne charge pas volontiers son cheval, et pendant que nos chevaux mangeaient régulièrement leurs quatre kilos d’orge, ceux du goum, auxquels on n’épargnait aucune corvée, restaient souvent vingt-quatre heures sans nourriture ; cependant ils se sont maintenus jusqu’à la fin presque en aussi bon état que les chevaux de nos escadrons.

« Un fait dont je ne vous entretiendrais pas, si toute la colonne n’en avait été témoin, c’est qu’un spahi en mission tombe avec son cheval dans une de ces fondrières qu’on rencontre dans les Chotts ; le cavalier parvient à s’en tirer, mais il est obligé d’abandonner son cheval, qu’il croit perdu. Huit jours après, ce même cheval est ramené au camp par un Arabe qui l’avait trouvé à plus de dix lieues de là, errant dans les sables arides. Combien de jours ce pauvre animal sera-t-il resté sans boire ni manger !…

« Je pourrais citer bien d’autres faits ; mais ceux-ci me paraissent assez concluans en faveur de notre brave cheval d’Afrique, qui est certes le meilleur cheval pour la guerre.

« Le lieutenant-colonel du 3e régiment de spahis,

B. GUREIN DE WALDEBBASCH[1]. »

Le cheval oriental possède, on le voit, toutes les qualités nécessaires à la guerre, la vigueur, la sobriété, la douceur, la force musculaire,

  1. A la suite de l’expédition de Tougourt, il. Guérin de Walderbasch a été nommé colonel du 1er régiment de spahis.