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il est vrai, de mettre en pratique les procédés de leurs voisins. La Nouvelle-Orléans, où un vaste commerce entretient l’esprit d’affaires, et qui a tant d’intérêt à ne pas se laisser déposséder par des lignes ferrées transversales du transit que lui procure le Mississipi, la Nouvelle-Orléans s’est placée à la tête de ce mouvement tardif. Faisant appel à la rivalité traditionnelle entre les deux zones, elle a provoqué une sorte d’agitation en faveur des chemins de fer dans le sud et dans le sud-ouest. Ses commissaires ont parcouru les états limitrophes pour y prêcher une sorte de croisade industrielle et réveiller la contrée de son inertie. Quels services ne rendraient pas en effet les nouvelles voies de communication dans des districts que leurs produits agricoles placent au rang des pays les plus favorisés du monde ! Avec le riz, le tabac et surtout le coton, les exportations des états du midi dépassent de beaucoup celles des états septentrionaux, et cependant la fécondité du sol n’est là qu’imparfaitement sollicitée ; d’abondantes richesses minérales demeurent même stériles faute de moyens de transport. Sans renoncer à son caractère propre, qui est agricole plutôt qu’industriel, sans aspirer follement à lutter contre l’aptitude manufacturière du nord, le midi a donc l’intérêt le plus évident à se rattacher par des chemins de fer au cercle des grandes transactions commerciales.

Quelles causes compriment ici l’essor des volontés ? Pourquoi ces provinces si richement dotées par la Providence sont-elles restées à l’arrière-ban de la civilisation américaine ? Peut-être faut-il dire que l’agriculture développe moins les idées d’entreprise que l’industrie et le commerce. Le planteur n’a pas besoin comme le négociant, comme le manufacturier, de songer sans cesse à des combinaisons nouvelles, et, si je puis parler ainsi, de se creuser la tête pour triompha de ses rivaux. Grâce à une terre libérale, sa récompense est toujours assurée. Ajoutons que la population est infiniment plus clair-semée dans les dix états du sud que dans ceux du nord, non qu’en somme elle y soit moindre, — les chiffres se balancent entre les deux divisions, — mais la superficie des dix états du nord ne représente pas un quart de la superficie des dix états du midi, sans tenir compte du territoire si vaste et presque inhabité du Texas. Il y a d’ailleurs dans le sud une institution énervante par sa nature et capable de neutraliser les plus actives impulsions, institution dont les états méridionaux méconnaissent malheureusement l’effet sur leur situation économique : je veux parler de l’esclavage. On a peine à comprendre en Europe jusqu’à quel point les idées sur cette question sont là-bas faussées. À l’occasion même des chemins de fer, l’esclavage a été le sujet des plus monstrueux sophisme » dans des harangues prononcées au sein des meetings méridionaux. Tantôt on a prétendu que c’était un avantage de pouvoir employer aux travaux des lignes ferrées les bras des esclaves, puisqu’ils coûtent moins cher que les bras des travailleurs libres, comme si ces derniers ne produisaient pas plus que les premiers, comme si, une fois les chemins de fer achevés, la population d’esclaves qui les aurait construits devait leur fournir les mêmes élémens de prospérité qu’une population d’hommes libres. Tantôt, défigurant l’histoire à l’aide des plus étranges abus de la rhétorique, on exaltait l’aptitude des propriétaires d’esclaves à exécuter des œuvres grandes et difficiles comme les chemins