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fréquentes erreurs. Au-dessous d’eux, les entrepreneurs de travaux qui font aux chemins de fer des avances, qui mettent à leur service un matériel indispensable, ont été de véritables sangsues attachées au flanc des compagnies. Partis pour la plupart des positions sociales les plus humbles, ils se sont presque tous enrichis. Si en parcourant les comtés de l’Angleterre vous demandez à qui appartiennent les terres seigneuriales passant successivement sous vos yeux, vous apprenez que la plupart de celles qu’on a vendues depuis une quinzaine d’années sont tombées entre les mains de ces trafiquans. Les travaux mis à leur compte, ils les répartissaient habituellement entre des sous-entrepreneurs non moins âpres qu’eux-mêmes. Ces derniers cherchaient à opérer leur principal bénéfice sur les terrassiers et les manœuvres qu’ils allaient recruter dans les parties les plus sauvages de l’Yorkshire et du Lancashire ou dans les marais du Lincolnshire. L’état de ces manœuvres, désignés sous le nom de railway labourers, a tristement préoccupé l’opinion publique en Angleterre. Éloignés de leur pays, complètement abandonnés à eux-mêmes, traités d’ailleurs comme un véritable troupeau de bétail, ils tombèrent bientôt dans la plus profonde dégradation morale. Ils n’avaient conservé aucun sentiment du devoir. Leurs déprédations les rendirent l’effroi des campagnes. Ces travailleurs ne connaissaient pour occuper leurs loisirs que l’ivrognerie, les rixes et la débauche. Un certain nombre traînaient sur leurs pas des familles aussi démoralisées qu’eux. Ajoutez qu’ils étaient tenus dans une sorte d’irritation perpétuelle par les abus commis à leur égard, envers les plus ignorans surtout, dans le compte de leur salaire. Les railway labourers affligent profondément les regards, et de pareilles misères font un singulier contraste avec le cadre doré des railways.

Sur le devant de ce tableau et par-dessus la foule des entrepreneurs enrichis, on voit s’élever au contraire certaines individualités qui éblouissent un moment les yeux et effacent tout autour d’elles. Parmi les parvenus de la bourse, portés jusqu’aux sommités de la vie sociale, il en est un dont l’existence résume avec un éclat particulier les traits de ces favoris de la fortune. On a déjà nommé M. Hudson. Proclamé roi par des agioteurs en délire, il eut un pouvoir égal à celui du monarque le plus absolu. Les cerveaux étaient tournés à ce point qu’un peuple essentiellement formaliste, essentiellement jaloux de la tradition, prodigua tout, respect, influence, rôle politique, liaisons aristocratiques, à un homme d’affaires enrichi de la veille.

Le nom de M. Hudson apparaît pour la première fois dans les questions de chemins de fer en 1833, à propos d’une ligne qui intéressait la ville d’York, où il était né et où il exerçait un commerce obscur. Cette intervention lui valut les honneurs municipaux. Promptement mêlé à de nombreuses négociations, M. Hudson s’y montra d’une rare habileté à profiter des circonstances et à manier les ressorts qui font marcher les affaires. Calculateur expérimenté et ingénieux, il s’entendait surtout à mettre en saillie les côtés les plus propres à inspirer de la confiance au public. En dix années, il amassa des millions, et comme il dépendait de lui d’en faire gagner à d’autres, il devint un véritable dieu pour le monde financier, un dieu qu’on obséda d’adorations et d’encens. Dès qu’il se montrait en public, c’était pour y recevoir