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contenait et les jeta en l’air de façon à les faire tomber un peu loin de mes persécuteurs. À peine le son de la monnaie touchant les dalles du temple se fit-il entendre, que le cercle dans lequel j’étais enfermée se brisa, et que je me vis libre. J’en profitai pour m’élancer sur mon cheval et partir au galop, jetant un regard de regret sur l’amphithéâtre en ruines que j’avais dû renoncer à visiter. Mes compagnons de voyage, qui n’étaient pas entrés dans le tombeau de sultan Ibrahim, avaient en revanche parcouru les ruines romaines, et revenaient enchantés. L’amphithéâtre de Gublettah était, à leur avis, un monument du plus beau style et dans un état de conservation rare.

Nous étions suivis d’une nombreuse escorte de bachi-bozouks qui devaient nous quitter lorsque nous aurions dépassé certain point réputé fort dangereux. Ce fut pourtant sur ce point même que nous nous arrêtâmes pour déjeuner, et j’y aurais passé volontiers quelques jours à la barbe de tous les brigands de l’univers, tant ce lieu présentait de charmes. Les bords de la mer sont en général fort arides, et ils le sont en Syrie plus que partout ailleurs ; mais je ne sais par quelle secrète influence les lois physiques sont parfois réduites à néant dans cette terre des prodiges, et les sites les plus en chanteurs surgissent tout à coup devant vous, là où on ne croyait rencontrer que des pierres, des ronces et du sable. Certaines oasis de Syrie échappent à toutes les explications, à toutes les hypothèses et par leur étendue et par la nature des obstacles dont elles ont triomphé. L’air salé de la mer ne devrait-il pas agir également sur tous les terrains qui en constituent le rivage ? Comment se fait-il qu’après avoir marché pendant des journées entières dans les sables des grèves, au milieu d’arbustes nains et rabougris, l’on se trouve subitement sur le seuil d’un parc anglais ? Le gazon a remplacé les sables, des variétés infinies d’arbres vigoureux et couverts de fleurs succèdent aux buissons et aux taillis. Des fleurs aux couleurs éclatantes, aux larges corolles, charment l’œil et embaument l’atmosphère ; des milliers d’oiseaux chantent avec une ardeur, une énergie à laquelle ne sauraient atteindre les oiseaux des climats plus tempérés. Nos hirondelles, par exemple, poussent en volant un cri monotone, et rien de plus ; mais l’hirondelle d’Asie, plus petite que la nôtre, avec ses longues ailes et sa longue queue en fourchette d’un beau bleu métallique, sa poitrine et le dessous de son col de couleur orange, chante à peu près comme le rossignol. Le diapason de sa voix est plus grave, mais son chant s’éloigne fort peu, par le rhythme et la mélodie, de celui de notre grand concertiste des bois. C’est la nature orientale qui révèle ici sa puissance, et nulle part nous ne l’avions trouvée plus admirable que dans l’oasis où nous nous arrêtâmes après avoir quitté Gublettah. Un vieux château, de je ne sais