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ne peut s’accommoder, et dont la rime ne s’accommode pas toujours. M. Busquet semble craindre qu’on ne lui reproche d’avoir préféré les dénominations latines aux dénominations grecques. Qu’il se rassure, personne ne songe à le chicaner là-dessus. Le public ne prend parti ni pour Héra contre Junon, ni pour Zeus contre Jupiter, ni pour Poséidon contre Neptune. De telles questions n’ont rien à démêler avec le succès d’un poème. Le point capital est d’intéresser, et le poème des Heures n’offre pas au lecteur un attrait bien vif. Malgré la vérité de quelques tableaux, l’attention languit. À défaut d’émotion, on voudrait au moins trouver à chaque page une forme pure et précise, et M. Busquet ne prend pas assez de souci de la forme. Puis il se laisse aller à d’étranges caprices que le goût ne saurait avouer. Il imagine de donner la parole à la puce et au crapaud, Ces personnages lyriques, d’une race toute nouvelle, excitent plus d’étonnement que de sympathie. Que le poème soit ou non mythologique, la puce et le crapaud font une assez triste figure. Si ce n’est pas une espièglerie, et dans un cadre pareil l’espièglerie n’est pas de mise, c’est à coup sûr une invention malheureuse.

Quant aux pièges à loups indiqués gravement par M. Busquet dans sa préface, je ne les crois dangereux pour personne. S’il a voulu se placer sous la protection de l’antiquité, c’est une preuve de modestie dont nous devons lui tenir compte ; mais s’il a cru qu’il suffisait de nommer Théocrite pour se dérober à la critique, je l’avertis qu’il s’est trompé. Qu’il traduise ou ne traduise pas l’Oarystis, peu nous importe ! Toute réserve faite en faveur de l’invention, qui sera toujours un des premiers mérites du poète, nous avons le droit de discuter la forme donnée à l’original par l’imitateur. Or, dans le poème des Heures, l’Ourystis ne rappelle guère l’élégance antique : M. Busquet prend trop souvent la trivialité pour la simplicité. Qu’il soit arrivé plus d’une fois à André Chénier de reculer devant l’expression vraie et d’altérer le texte de Théocrite, je l’accorderai volontiers ; mais il faut rendre justice à l’élégance soutenue de son imitation. S’il pèche par timidité, il ne blesse jamais le goût, il n’offense jamais les esprits délicats par un terme trivial. Que M. Busquet ne s’abuse pas sur le mérite de sa hardiesse, il est plus loin de Théocrite qu’André Chénier. Il avait pourtant devant les yeux l’exemple récent de M. Ponsard, qui devait suffire pour l’éclairer. Ce que l’auteur d’Ulysse avait fait pour l’Odyssée, il vient de le faire pour l’Ourystis, sans tenir compte des avertissement donnés à son devancier. Ce n’est pas comprendre Homère et Théocrite que de confondre la crudité avec la franchise. Pour peu qu’on connaisse le génie des deux langues, on s’aperçoit bien vite que la latéralité la plus servile peut conduire à l’infidélité, car il y a telle expression qui dans la langue