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en apercevoir plus distinctement l’ensemble, et qu’on pénètre mieux ce qui reste inconnu des contemporains. Ainsi il arrive de cette époque impériale, qui a reçu déjà de si vives lumières de la correspondance de Napoléon et de Joseph. L’Histoire des négociations diplomatiques relatives aux traités de Lunéville et d’Amiens, publiée aujourd’hui par le même auteur, M. Du Casse, ne supplée point à cette correspondance ; elle la complète en certaines parties, elle y ajoute la correspondance de l’empereur avec son oncle, le cardinal Fesch, au sujet des affaires de Rome et des démêlés du terrible héritier de Charlemagne avec le chef de l’église. Elle met sous les yeux, heure par heure, les difficultés, les prétentions, les tentations dirons-nous, en même temps que les gloires de ces négociations avec l’Autriche, qui eurent à franchir ces deux merveilleuses étapes, Marengo et Hohenlinden, pour aboutir au traité de Lunéville. L’Autriche résistait, on le conçoit bien ; elle avait en dernier lieu pour négociateur un homme, M. de Cobentzel, décidé au fond à la paix, mais défendant pied à pied le terrain. Quant au négociateur français, celui qui devait être le roi Joseph, quelque habileté qu’il put avoir, il eut certainement deux coopérateurs qui lui aplanirent les difficultés de protocole : le premier consul et le général Moreau. Ces deux traités de Lunéville et d’Amiens, ces deux gages éphémères d’une paix sans durée, sont au reste moins importans peut-être par leurs stipulations, restées inefficaces, que comme des dates caractéristiques. La France ramenée à une sorte de réconciliation avec elle-même et avec les autres peuples, l’ordre intérieur renaissant sous un gouvernement jeune et plein de gloire qui n’était une humiliation pour personne, la tranquillité des consciences assurée par le concordat, les temples rouverts, la paix continentale signée avec l’Autriche et la paix maritime avec l’Angleterre, nos frontières étendues du Rhin aux Pyrénées, de l’Océan aux Alpes, — c’était peut-être le plus haut degré de grandeur compatible avec l’état du monde.

Comment une telle situation fut-elle à peine une halte ? Était-ce une fatalité de cet antagonisme de la révolution française avec la vieille Europe ? Est-ce entraînement du génie de la guerre, besoin de grandir chez un homme qui croyait avoir encore à donner à la France pour prix d’une couronne ? Il y eut sans doute de toutes ces causes. Que l’Autriche fût mécontente de reculer jusqu’à l’Adige en Italie, cela est évident. Que l’Angleterre n’eût point un amour ardent pour la paix, si on en pouvait douter, il suffirait de lire une lettre curieuse de lord Malmesbury publiée par M. Du Casse. Lord Malmesbury avait été le négociateur choisi à deux reprises pour se rendre à Paris et à Lille. L’essentiel était de faire illusion aux partisans de la paix en Angleterre et au gouvernement français. Tout l’art diplomatique de lord Malmesbury consista la première fois à entamer une négociation en posant une question à laquelle on ne devait pas répondre, et en provoquant une autre question à laquelle il ne répondrait pas lui-même. À Lille, ce fut différent : il prétendait traiter pour des alliés dont il n’avait pas les pleins-pouvoirs, et il avait reçu de son propre gouvernement des pouvoirs que démentaient ses instructions secrètes. La mission de Lord Cornwallis à Amiens fut plus sérieuse, puisqu’elle aboutit à un résultat ; mais le traité n’était point signé, qu’il y eut un soulèvement en Angleterre, et ici inter-