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Hélas ! les malheureux Celtes d’Irlande n’ont rien qu’on puisse mesurer, peser, jauger. Commerce, industrie, richesse, agriculture même, tout leur manque. Ils n’ont pas non plus ces qualités qui peuvent être appréciées jusqu’à un certain point comme on apprécie les productions matérielles, — la régularité dans le travail, la patience, la prévoyance, l’économie, — aucune de ces vertus au jour le jour, et d’un usage habituel et familier. Ils ont, si l’on peut s’exprimer ainsi, le superflu, et ils n’ont pas le nécessaire. Leurs qualités sont des choses de luxe, supérieures à leur condition, qui ornent et charment une existence brillante et oisive, mais qui ne peuvent aider en rien une existence précaire et famélique : ils ont des dons d’orateur et de poète, de l’esprit, de l’imagination, de la délicatesse de sentiment, de la gaieté, de l’abandon ; mieux vaudrait pour eux qu’ils eussent des qualités de fermier, de forgeron et de mineur.

Le monde moderne, qui n’estime que ce qu’il voit et touche, ne leur sait aucun gré de tous leurs dons séduisans, et dans le fait cette malheureuse race n’est plus qu’un débris et un souvenir de choses et de temps qui ne reviendront plus. Elle est entièrement isolée dans notre Occident ; rien ne lui ressemble dans tout ce qui existe, nulle part elle ne trouve un reflet d’elle-même. Elle aime la vie agricole, nous préférons les infectes manufactures et les noires usines ; elle aime le sol natal, les paysages de la patrie, les coutumes locales : nous sommes au contraire des cosmopolites, des citoyens du monde, et notre patrie, si nous en avons une, n’est autre que le wagon du chemin de fer ou le steamboat. Ils sont révolutionnaires, croirait-on ; mais non, ils s’insurgent contre toutes les choses en faveur desquelles s’insurgent nos démocrates, et se battent pour toutes celles que l’Europe radicale voudrait effacer à jamais. Leur caractère et leurs inclinations les séparent de tous les autres peuples, et les maintiennent dans un isolement absolu en leur conservant une physionomie très originale. Tandis que toutes les races sentent le besoin de se rapprocher et de s’unir, la race celtique éprouve pour le cosmopolitisme une aversion insurmontable et se tient à l’écart. En Amérique, où cette fusion s’opère plus facilement qu’ailleurs, les Irlandais continuent à vivre séparés, tandis que les Allemands et les Hollandais au contraire deviennent aisément des nationaux. Quels sont donc les traits principaux de ce singulier caractère ?

Il est souvent difficile de marquer nettement les différences qui séparent les races, car ces différences ne sont point grossièrement tranchées, elles consistent la plupart du temps dans des nuances extrêmement délicates. Lorsqu’on n’emploie pas le microscope, le scalpel et tous les fins instrumens d’analyse, on s’aperçoit que la division de l’espèce humaine en trois races, telle qu’elle nous est donnée