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disposition des pays qu’elle peut voler (sic) à merci ; mais supposons qu’on trouve moyen de prévenir ces vols à l’avenir, qu’adviendra-t-il ? M. Mitchel prouve son assertion par une foule de raisons, dont quelques-unes sont ingénieuses et la plupart puériles. De même que le vieux Caton répétait sans cesse son délenda est Carthago, il répète sur tous les tons ce sarcasme d’un célèbre écrivain anglais : « puissante est la banqueroute ! » Mais généralement il se plaît peu à ces dissertations économiques, et il aime mieux lâcher quelque raillerie amère et sanglante, ou paraphraser quelque terrible imprécation de la Bible, celle-ci, par exemple, qu’il cite quelque part : « Puissent tes pieds se baigner dans le sang de tes ennemis, et puisse la langue de tes chiens en être rougie ! »

Il ne faudrait pas se hâter de croire cependant que M. Mitchel soit un révolutionnaire à la française. Rien ne serait plus faux. C’est un pur Irlandais. Il se révolte contre l’Angleterre, et tous les moyens lui semblent bons pour la détruire, munie les plus sauvages. Deux ou trois fois il parla des socialistes européens avec le plus profond mépris, et comme la modération n’est pas au nombre de ses qualités, il dit tout haut que ce sont des bêtes féroces qu’on doit s’empresser de tuer. Il exprime peu d’opinions politiques ; mais s’il a quelques préférences, c’est pour la vie patriarcale et rustique, pour les sociétés fondées sur la propriété territoriale. Il applaudit aux révolutions, non parce qu’elles détruisent les monarchies et les aristocraties, mais parce qu’il considère ces institutions comme usées sous leur ancienne forme et en réclamant une nouvelle, que les événemens se chargeront de trouver. Il professe sous ce rapport les théories de Carlyle, que nous avons été assez surpris de rencontrer dans son livre. Les révolutions lui semblent bonnes parce qu’elles produiront à la longue les nouvelles formes politiques qui gouverneront le monde, non parce qu’elles répandront partout les théories des droits de l’homme et qu’elles feront passer l’humanité sous le niveau égalitaire. Il accepte donc partout la république non comme fin, mais comme moyen. En d’autres termes, M. Mitchel a des instincts révolutionnaires, il n’a pas de sentimens démocratiques. Il est factieux incontestablement, et il revendique de toutes ses forces le titre de félon irlandais, mais il n’est pas démagogue : celui de nos révolutionnaires qui essaierait de le compter comme un confrère se tromperait presque aussi lourdement que M. Ledru-Rollin se trompa naguère à l’égard d’O’Connell. La lecture de ce livre nous a réjoui, car nous n’étions pas sûr que nos pitoyables théories démagogiques n’eussent pas fait du chemin en Irlande, et nous regardions M. Mitchel, l’adversaire intraitable de l’agitation pacifique et des traditions o’connellites, l’homme de l’insurrection illégale, le partisan de la