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les jours de Hugues Capet le symbole et l’instrument de l’unité nationale, rencontra d’abord en face d’elle l’esprit féodal, dont l’influence avait pénétré les mœurs, les lois, l’église, la famille, et jusqu’au sol lui-même dans l’infinie variété de ses divisions, de ses coutumes et de ses idiomes. J’ai pris plaisir à suivre ailleurs[1] dans ses phases principales la lutte engagée contre toutes ces forces conjurées depuis le jour où la royauté de Louis le Gros allait guerroyant de château en château jusqu’à celui où saint Louis la vit s’épanouir dans les pompes de sa cour plénière garnie de jurisconsultes et de hauts barons. Je me suis efforcé de raconter, en le résumant dans quelques types, ce prodigieux travail, toujours identique par le but, toujours dissemblable par les moyens. À la lutte engagée contre la féodalité territoriale avait succédé celle que nos rois durent livrer à la féodalité apanagère, renforcée par leur propre imprévoyance, et la cruelle astuce de Louis XI servit la même cause que l’adorable piété de saint Louis. Bientôt après paraissent ces guerriers qui donnent à la France la pleine conscience d’elle-même en séparant pour jamais ses destinées de celles de l’Angleterre, comme deux fleuves dont les flots, après s’être longtemps heurtés, s’écoulent enfin dans de larges lits par des pentes différentes. Le travail d’assimilation territoriale et d’expansion monarchique semble fort avancé à l’ouverture du XVIe siècle ; mais il est bientôt suspendu et contrarié dans son cours par la grande révolution religieuse qui changea la face de l’Europe. Le protestantisme rend à l’aristocratie territoriale dans les états du centre et du nord une influence que de longues guerres étrangères ou civiles avaient partout affaiblie, la noblesse se relève en s’emparant des dépouilles de l’église là où la réforme triomphe, et si celle-ci ne parvient point à prévaloir en France, elle y ménage du moins aux princes du sang et aux grands seigneurs de formidables auxiliaires dans leurs derniers efforts contre la prééminence royale.

La résistance catholique, organisée sous le drapeau de la ligue, rendit à l’esprit municipal une vie qui languissait depuis le XIIIe siècle, de telle sorte que l’autorité royale se vit retardée dans ses accroissemens et un moment menacée dans son existence par l’action simultanée des deux cultes. L’habileté d’Henri IV parvint, à conjurer ce double péril. Il désarma les protestans, qui lui avaient prêté leur force, et changea sa position vis-à-vis des catholiques, qui l’avaient contraint à s’incliner devant la foi nationale, en donnant peu à peu le caractère d’une victoire à ce qui n’avait été qu’une transaction.

  1. études sur les fondateurs de l’unité nationale en France. — Voyez entre autres dans cette Revue : le Connétable Du Guesclin, 15 novembre 1842, Henri IV, 15 février et 1er mars 1845, le Cardinal de Richelieu, 1er et 15 novembre, 1er décembre 1843.