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elle constituait cette foi parlementaire qui seule faisait battre, au milieu des orages, le cœur impassible de Mathieu Molé, et elle suffit pour expliquer les périls et les déboires de sa noble vie.

Quelque chose de semblable se reproduisait relativement à l’armée, et donnait une preuve de plus des résistances que les idées nouvelles rencontrent dans les vieilles mœurs, même après que leur victoire est assurée. L’armée était bien devenue, depuis la victoire du Béarnais, le bras de la royauté française, mais c’était aussi sous la condition que le souverain se placerait à sa tête pour y exercer en personne le commandement suprême. Ainsi avait toujours agi Henri IV, ainsi avait presque constamment fait Louis XIII lui-même pendant un demi-siècle. Lorsque le roi, chef de la hiérarchie militaire, ne paraissait point dans ses armées, les traditions féodales, si puissantes encore sur l’esprit de la noblesse, ne tardaient pas à reprendre le dessus, et les divers corps devenaient bientôt les fiefs particuliers de leurs commandans. La royauté n’avait alors sur l’armée qu’une action indirecte et en quelque sorte médiate. Dans un système d’organisation militaire où le régiment était, à bien dire, la propriété de son colonel, exclusivement chargé du soin de le recruter, il était difficile que chaque province, et surtout chaque place de guerre, ne fût pas dans la dépendance directe et personnelle de son gouverneur. L’écharpe bleue de Monsieur, l’écharpe verte du cardinal, l’écharpe isabelle de M. le Prince, étaient, dans les idées qui prévalaient encore à cette époque parmi les plus honnêtes gens, des symboles qui engageaient l’honneur et la fidélité militaires plus étroitement que ne pouvait le faire la couleur même du drapeau. Derrière les murailles de sa forteresse, tout gouverneur nommé par le roi se considérait à peu près comme chez lui. On n’en jugeait guère autrement à la cour. Lorsqu’on y avait résolu de retirer son gouvernement à un général, et, à plus forte raison, de lui ravir la liberté, on avisait, pour le faire déguerpir, à mille expédiens plutôt que de donner à la garnison l’ordre d’arrêter son propre chef. Le maréchal d’Hocquincourt n’étonnait probablement personne, et faisait à peine acte de fatuité en écrivant à la duchesse de Montbazon que, pour prix d’un de ses regards, Péronne serait à la belle des belles. Pour peu qu’on lise avec quelque attention les mémoires de ce temps, on reste convaincu que, dans les idées alors universellement admises, le gouvernement des provinces, et surtout celui des places de guerre, était beaucoup moins considéré comme une fonction exercée dans un intérêt public que comme une garantie obtenue pour sa sûreté ou son influence personnelle.

Par l’avènement d’un enfant au trône, l’autorité royale était donc paralysée dans la conscience des magistrats, qui en était le vrai