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armes à ce projet. Les états élèveront sans doute de vives objections ; mais peut-être pourrait-on obtenir leur assentiment en se montrant fort résolu en même temps que disposé à leur abandonner quelques places à leur convenance. Il faudrait gagner très secrètement le prince d’Orange, en lui faisant pour lui-même, si cela devenait nécessaire, l’offre du marquisat d’Anvers, perspective magnifique qui pourrait le décider à ne pas contrarier nos vues. Si celles-ci étaient réalisées, l’Espagne n’aurait plus de communications avec l’empire, et les deux branches de la maison d’Autriche deviendraient séparées par les intérêts comme par la distance. Plusieurs moyens se présentent pour atteindre un jour ce but, — d’abord l’intérêt du cabinet de Madrid, qui doit lui faire désirer de reprendre la Catalogne, province riche et populeuse qui forme la barrière principale de ses possessions péninsulaires, puis la perspective d’un mariage entre le roi et la jeune infante, qui sauvegarderait l’honneur national, puisque l’Espagne constituerait alors en dot des provinces qu’elle sera têt ou tard contrainte de céder. Enfin et avant tout, il faut compter sur les chances heureuses de la guerre, qui offre assurément la voie de succès la moins improbable et celle qu’il importe de se conserver toujours.

Aux considérations tirées de la position géographique de la France, Mazarin ne manque pas d’ajouter les raisons plus décisives encore à ses yeux que fournit, pour déterminer l’adjonction, la sécurité intérieure de la monarchie : « Les coupables, les mécontens et les factieux, privés par ce moyen-là de leur retraite accoutumée, perdront les commodités de brouiller les affaires et de faire des cabales avec l’assistance des ennemis, étant aisé de remarquer que tous les partis contre l’état ont été tramés dans les Pays-Bas, dans la Lorraine et dans Sedan… Les Espagnols ne sauraient donner des assistances considérables à une faction que du côté de la Flandre, où les forces ont toujours été prêtes pour cela, comme il s’est vu quand ils persuadèrent à M. le duc d’Orléans de porter la guerre en Languedoc, et dans le dernier traité de feu M. le Grand, où toutes les assistances devaient venir des Pays-Bas[1]. »

Ces raisons, admirablement exposées dans une longue correspondance, justifient à coup sûr la passion portée par Mazarin dans cette affaire. Les unes expriment des vérités sanctionnées par l’expérience des siècles ; les autres allaient trouver leur confirmation dans une crise dont les premiers symptômes ne furent pas sans influence sur

  1. Négociations secrètes de la cour de France touchant la paix de Munster ; Amsterdam, 1710. Voyez surtout le Mémoire du cardinal Mazarin aux plénipotentiaires touchant un parti pour la paix avec l’Espagne du 20 janvier 1646, et le second Mémoire du 10 février de la même année.