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un fragment de voie romaine qui se reconnaît tout d’abord à son air de solidité, et avec ce bout de grande route apparaît aussitôt la toute-puissance du peuple romain. Là où les Romains ont mis le pied, ils ont voulu le poser sur ces larges dalles enfoncées dans un lit de ciment et de cailloux, et formant une route large, droite, qui va devant elle à travers les marais, les sables, les montagnes, et qu’on pourrait appeler une chaussée des géans.

La voie Appienne, la première en date de ces routes, fut avec le temps une des plus longues ; on l’appelait la reine des voies romaines,

Appia longarum teritur regina viarum.

Plus tard, elle alla jusqu’à Brindes. Appius, du premier effort, la poussa jusqu’à Capoue.

On se demande pourquoi, au commencement du Ve siècle, à Rome, on traçait dans cette direction une route monumentale. C’est que de ce côté se tournait alors tout l’effort de la puissance romaine ; la même impulsion entraînait vers le sud de l’Italie, chemin de la Grèce et de l’Orient, les légions de Rome à travers les gorges de l’Apennin, et pointait pour ainsi dire la voie nouvelle vers la Campanie. Par là, Rome devait un jour entrer en relations de conquête, de commerce, d’art, avec le reste du monde civilisé. Appius obéissait à l’inspiration du génie romain. Cet aveugle voyait assez clair dans l’avenir :

Multa videns anime, lumine coecus erat.

Le moyen âge, par beaucoup plus de points qu’on ne le croit d’ordinaire, se rattache à l’antiquité. Les rois barbares habitaient les palais impériaux des Romains ; les premiers castels féodaux furent des castella, c’est-à-dire des positions fortifiées contre l’invasion. Les voies romaines furent à peu près les seules grandes routes du moyen âge. Les empereurs allemands suivaient la voie Flaminienne pour venir à Rome, et toutes les armées étrangères prenaient la voie Appienne pour aller à Naples. Celle-ci servit seule de communication entre Rome et Albano, jusqu’au jour où quelques familles féodales, les Savelli, les Gaetani, retranchées dans les tombeaux romains qui bordaient la voie, et qu’elles transformèrent en châteaux-forts, rendirent le chemin si dangereux pour les voyageurs et surtout pour les marchandises, que les uns et les autres prirent une direction parallèle à peu de distance. Ainsi se forma la route actuelle qui conduit à Albano. Dans ces dernières années, l’ancienne via Appia, dont on connaissait la direction et dont le pavé même apparaissait