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dans le Tibre le cadavre d’Héliogabale, après avoir tenté en vain de le faire entrer dans un égout, qui se trouva trop étroit, et lui avoir attaché un poids, de peur qu’il n’abordât quelque part, pour être bien certains qu’il serait privé de sépulture, C’est pour la même raison qu’on noyait avec une précaution semblable les parricides. Aujourd’hui le pont Palatinus a été remplacé par un pont en fer. L’invention moderne fait un étrange contraste avec les antiques souvenirs. À Rome, il faut s’habituer à ces contrastes : la voie Flaminienne est éclairée par le gaz, et la cheminée du gazomètre s’élève tout près de l’endroit où la louve vint allaiter Romulus exposé aux bords du Tibre.

La république a laissé peu d’édifices qui datent de ses beaux temps. Quoiqu’elle en ait construit alors un grand nombre, il n’en reste guère qu’un seul qu’on puisse attribuer avec certitude à cette glorieuse époque : c’est le temple de la Fortune virile, qui a été transformé en église. Simple, correct, sévère, il a bien le caractère de l’architecture romaine et républicaine, quoiqu’il soit déjà imité des Grecs. Presque tous les autres temples construits avant l’empire ont péri ou n’ont laissé debout que quelques colonnes, mais le nombre de ces temples a été fort considérable. Comme je l’ai dit, il n’y eut presque point de guerre où les généraux de la république ne vouèrent pas un temple à quelque divinité pour obtenir par son entremise la victoire : vœu tout à fait pareil à ceux qui ont fait élever plus d’une église au moyen âge. Les noms seuls de ces temples sont donc des monumens de l’histoire romaine. Camille en érigea plusieurs, un entre autres à la Concorde, lors d’une réconciliation passagère des patriciens et des plébéiens. Cet édifice devait, malgré son nom, être lié au souvenir des plus terribles dissensions civiles, car Cicéron y prononça plusieurs de ses catilinaires. Quand les Gracques eurent été assassinés par les patriciens, Opimius, un des meurtriers, en éleva un nouveau : triste concorde que celle qui s’établit par le triomphe de la violence. Tibère aussi osa relever le temple de la Concorde immortalisé par Camille et par Cicéron. Auguste fit mieux, il rebâtit le temple de la Liberté, qu’avait élevé le père des Gracques. Il fallait, pour consacrer un temple à la Liberté, qu’il se sentit bien sûr de l’avoir complètement étouffée. On est parvenu à déterminer l’emplacement probable d’un certain nombre de temples de l’époque républicaine, et les plus beaux noms, les plus grands faits de l’histoire romaine sont rappelés par eux. Quelquefois la science détruit des illusions qu’on regrette. Ainsi le temple dédié à la Piété, sur le lieu où avait été la prison dans laquelle une jeune femme nourrit de son lait son père, d’autres disent sa mère, condamnée à mourir de faim, — ce temple n’est pas celui dont on montre encore