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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1012

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L’iniquité a appelé l’iniquité ; la plaie envenimée a gagné jusqu’au cœur du royaume : elle saigne et crie sous le fer des bourreaux. Pourquoi faut-il que ce soit un éloge à faire du duc de Saint-Simon que de dire qu’il a détesté, qu’il a maudit ces fureurs ? Il n’est que trop vrai pourtant : la violence mise au service de la foi trouvait alors des complices ou des apologistes parmi les plus grands cœurs et les plus fermes esprits. et c’est l’honneur de Saint-Simon qu’il se soit montré noblement supérieur au préjugé de son siècle.

Il y a, chez certaines âmes fières et élevées, un sentiment profond de l’indépendance, un respect inné de la liberté humaine, qui les défend contre les pièges du sophisme et les entraînemens de la passion, et qui fait que, même aux époques où la notion du droit est le plus obscurcie et la tolérance le moins en honneur, elles prennent spontanément parti pour la faiblesse contre la tyrannie, et, quelle que soit la foi qu’ils confessent, couvrent tous les martyrs de leur sympathie. Saint-Simon est de ces nobles natures. Aussi quelle indignation vengeresse, quelle véhémence, quelle douleur patriotique dans ces pages où il peint le spectacle de confusion et d’horreur dont il a vu la France couverte, l’étranger enrichi de nos exils et de nos ruines, les enfans enlevés à leurs mères, le scandale de ces abjurations arrachées à la faiblesse par la torture ou à la cupidité par l’argent, et la religion, la vraie religion, outragée par ces barbaries ou ces séductions indignes, pleurant, avec quelques saints évêques, les sacrilèges dont on l’afflige et l’odieux que font retomber sur elle tant de cruautés commises en son nom, mais désavouées par sa divine mansuétude !

Partout où la justice est violée, où la liberté morale succombe, le cri de l’humanité blessée s’échappe de ses entrailles. Qu’il s’agisse des protestans ou des jansénistes, que Bâville promène la désolation sur toute une province, ou que d’Argenson, avec des escouades d’archers, enlève nuitamment de Port-Royal-des-Champs quelques pauvres religieuses ; terrible ou mesquine, sanglante ou tracassière, la persécution soulève toujours en lui les mêmes colères et lui arrache les mêmes anathèmes. Cette chaleur de sentiment, cet ardent amour de la justice, cette inaltérable droiture du sens moral qui distinguent Saint-Simon, suffiraient seuls, disons-le, à mettre son livre à une grande hauteur au-dessus de ces mémoires trop fameux où un homme qui eut de grands talens et point de principes, le cardinal de Retz, étale spirituellement sa vanité et sa corruption. Quelle distance entre les deux hommes ! quelle différence dans l’impression morale que nous laissent les deux œuvres !

Et s’il est vrai que chez l’homme qui écrit ses mémoires, la sincérité soit de toutes les qualités la première, quelle supériorité sous ce rapport n’a pas encore Saint-Simon ! Tandis que Retz, uniquement préoccupé de sa personnalité bruyante, s’efforce de cacher bien des