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nous montrer du point de vue qui plaît davantage aux imaginations et flatte le plus les préjugés. — L’autre, homme de cour, nourri dans les intrigues et la politique, a vu de près les choses qu’il raconte, les hommes dont il parle. Et quelles choses parmi les plus belles, quels hommes parmi les plus grands, ne perdent pas un peu à être vus de si près ? Pour lui, point d’illusion scénique, point de perspective lointaine qui grandisse les acteurs d’une coudée : il est dans les coulisses, il voit à revers ce spectacle qui au parterre éblouit la foule. Venu au lendemain des prospérités, à la veille des désastres, il a reçu l’impression de la décadence sans avoir subi le prestige des grandeurs. Indépendant par caractère, sévère par principes, il a dit le bien sans réticences, mais il a dit aussi le mal sans ménagemens.

Vanités nationales, traditions, préjugés, que lui importe cela ? Il ne veut ni flatter le présent ni tromper l’avenir. Grandeurs de convention, héroïsmes de théâtre, réputations usurpées, il souffle sur tous ces fantômes. N’attendez pas de lui qu’il tienne, quand il l’a dans sa main, la vérité captive. Non, il lui ouvrira, autant qu’il est en lui, libre voie et large carrière. Il la respecte à ce point de la mettre au-dessus de toutes choses ; il l’aime jusqu’à lui sacrifier ses affections comme ses inimitiés. L’amour de la vérité, il a pu légitimement se rendre à lui-même ce témoignage, a été vraiment « la loi et l’âme de ses écrits. » Non pas qu’il soit toujours juste : l’équité peut appeler parfois de ses appréciations, et l’histoire a cassé plus d’un de ses arrêts ; mais il ne manque jamais volontairement à la justice. Jamais, de propos délibéré, il ne dissimule la vérité ou ne l’altère. Si ses amitiés sont chaleureuses, si ses ressentimens sont violens, ni les uns ne lui font taire les défauts de ceux qu’il aime, ni les autres méconnaître le mérite de ceux qu’il hait. Qui fut plus ennemi des bâtards ? et qui a rendu un plus entier, un plus éclatant hommage à la vertu et aux talens du comte de Toulouse ? Qui fut plus sincèrement dévoué au duc d’Orléans ? et quel plus rude censeur le duc d’Orléans trouva-t-il jamais de ses vices et de sa faiblesse ?

Là même où sa passion l’égare, il garde encore assez de sang-froid pour discerner une partie de la vérité et assez de loyauté pour la dire. Plus d’une mémoire a eu à se plaindre de son dénigrement. Sa haine, pour n’en rappeler qu’un exemple, s’acharne contre cette femme célèbre dont l’astucieux génie pesa sur la vieillesse du grand roi ; cette haine l’a rendu trop crédule à la calomnie et trop facile à la répéter. Mais attendez : tout à l’heure, quand le peintre, rassemblant ses souvenirs, va tracer à grands traits le portrait du personnage, son impartialité lui reviendra. L’instinct de l’artiste l’emporte sur la passion de l’homme, et en face du modèle il n’obéit plus qu’à un sentiment, celui de la réalité. N’a-t-il pas fait de l’esprit de Mme de Maintenon, de son « éloquence naturelle, » de ses « grâces