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soudaineté de l’expression, nul ne rappelle autant l’éloquence souveraine de l’orateur sacré ; c’est le même coup d’aile et le même vol dans la nue. Tantôt il a l’élégance naturelle, les grâces familières de Sévigné : exempt, comme elle, de toute prétention d’auteur, il doit, comme elle, à l’abandon même de son style une partie du charme que nous trouvons à le lire. « On s’attendait à voir un auteur, on est tout étonné et ravi de trouver un homme. » Ce mot de Pascal semble avoir été dit pour lui. Jamais homme dans son style ne fut davantage lui-même et rien que lui-même. Génie inculte et primesautier, il ignore l’artifice et l’affectation. Il ne cherche pas la firme, il la trouve : quand elle lui fait défaut, il l’invente. L’expression docile et prompte se plie d’un mouvement naturel à toutes les ondulations de la pensée. Ce style rapide, enflammé, plein des caprices et des fougues de l’improvisation, étincelle de beautés neuves, abonde en tournures vives et piquantes, en effets pittoresques, en hardiesses d’un incroyable bonheur, ou plutôt en inimitables créations.

Comme il a les qualités de l’improvisation, il faut convenir aussi qu’il en a les défauts et les inégalités. La phrase est souvent incorrecte, parfois embarrassée et obscure. La plume haletante a peine à suivre la pensée qui vole et dévore l’espace, le temps, les souvenirs. L’écrivain semble se hâter devant l’immensité de sa tâche : il va sans s’arrêter, il va sans relire la page noircie, jusqu’au bout de son œuvre. Le but atteint, le courage ou les forces lui ont manqué pour un travail de révision, dont il sentait mieux que personne le besoin. Faut-il le regretter ? N’eût-il pas, en effaçant les taches, enlevé le naturel, énervé la vigueur ?

Saint-Simon est de la race des maîtres du XVIIe siècle. S’il n’a pas leur correction, il a encore leur grand style, leur période prolongée et nourrie, abondante et nerveuse. Il parle leur langue, la langue de Bossuet et de Molière. Cette langue si souple et si forte semble prendre encore sous sa main une souplesse et une énergie nouvelle. Il la rudoie, mais comme il la domine ! comme il sait magnifiquement se faire pardonner ses audaces ! Poussée à outrance, elle trébuche parfois, mais pour se relever plus vaillante, et s’élancer d’un bond par-delà les limites qui semblaient infranchissables. Non-seulement Saint-Simon, par un singulier privilège, conserve, au milieu du XVIIIe siècle et de ses élégances déjà raffinées, la langue de la cour de Louis XIV dans toute sa pureté ; mais il la retrempe à une source plus ancienne. Il a des fiertés de style, des façons de dire qui font souvenir de ces gentilshommes du XVIe siècle dont la main tenait aussi bien la plume que l’épée. Il a retrouvé surtout quelque chose de cette sève primitive, de cette saveur gauloise que, depuis