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les discuter, et qui pouvait me donner à soupçonner que j’avais raison. Ce n’est pas que je tienne absolument à avoir raison ; je pense ainsi, les autres pensent autrement, lui disais-je. Pourvu qu’ils soient bons dans la conversation et qu’ils m’évitent les taquineries de la discussion, je les laisse parfaitement tranquilles.

Au cours suivant, je remarquai trois dames qui, arrivant au milieu de la séance, troublèrent momentanément le cours. Il y avait peu de femmes aux leçons du professeur ; jusqu’alors, je n’avais guère remarqué que deux ou trois sous-maîtresses qui prenaient des notes. Il existe une longue barrière de bois qui forme un passage pour aller au bureau du professeur ; cette barrière est parallèle à la façade du Muséum qui donne sur la grande cour du Jardin des Plantes ; dans l’embrasure des fenêtres sont disposées des chaises qui jusqu’alors avaient été inoccupées. Les trois dames prirent place dans cet endroit réservé, séparé des auditeurs du cours par la barrière. La curiosité me poussa à regarder ces trois femmes qui s’isolaient ainsi des étudians, et quand les trois femmes furent assises, qu’elles eurent levé leur voile, je vis deux dames âgées et une jeune fille de dix-neuf ans à peu près. Ma curiosité avait été partagée par tout le reste de l’auditoire, car l’entrée des femmes dans les endroits savans inquiète généralement les hommes ; mais le premier moment passé, chacun se retourna vers le professeur, qui était en train d’expliquer les caractères particuliers de l’hylobates fureneus, autrement dit gibbon en deuil. Il me venait trop souvent, malgré mon application, des idées étrangères à l’histoire naturelle : la figure du gibbon en deuil me faisait penser au masque noir d’Arlequin, et une fois entré dans cet ordre de comparaison, je me demandai si le masque connu du personnage de pantomime n’avait pas pris naissance dans la contemplation des singes, faite par quelque acteur du passé ; mais comme ce mot d’hylobates fureneus reparaissait souvent dans la bouche du savant professeur, je songeai aux dames qui venaient d’entrer, à leur inexpérience du latin, et je les pris en pitié, car les naturalistes sont un peu comme les pharmaciens, hérissés de latin. Les cabinets d’histoire naturelle ressemblent assez par leurs étiquettes aux officines d’apothicaire : tout ce qui ne se termine pas en yte, en thèque, en cèbe, en phate, en gale, est écrit en un latin qui n’est pas des plus fins, mais qui est encore assez sauvage pour troubler l’entendement des ignorans. Le professeur avait la manie d’affubler ses singes de noms latins ; aussi attribué-je ce titre de gibbon en deuil à une sorte de galanterie qui le poussa à saluer l’arrivée des trois dames. Un sage a eu raison de dire que la société des femmes rend les hommes plus polis : peut-être, s’il y avait eu une forte majorité de femmes au cours, le naturaliste eût-il exilé à jamais le latin