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Je traçai ainsi de nouvelles parallèles, comme on dit en style de guerre. Ma lettre me parut un peu plus amoureuse que la première ; je ne me rappelle guère quelle en était la forme, mais le fond me toucha réellement, comme si j’avais été la demoiselle elle-même et que j’eusse reçu une déclaration. — C’est bien, mon cœur, pensais-je, je te croyais sec comme une vieille momie d’Égypte, je te retrouve tout neuf. Le renouveau de mon cœur me fit sourire doucement, car après le dernier siège qu’il avait subi un an auparavant, siège long et cruel, il n’avait plus donné signe de vie. À cette heure, au contraire, il ressemblait à ces beaux cœurs d’or qui brillent aux fenêtres des bijoutiers, il rayonnait, et je ne retrouvais plus le cœur saignant, percé de coups d’épée, tel qu’il se voit dans les images pieuses.

Je n’avais plus autant d’invention à dépenser, je renouvelai ma grande enveloppe officielle, l’immense cachet rouge, et je rêvai à la boîte aux lettres qui m’attendait à la sortie du cours. L’avouerai-je ? le manchon déposé sur une chaise, près de la demoiselle, attira presque toute mon attention ; j’aimai ce manchon propice, qui, avec sa physionomie d’ours, se prêtait d’une façon si bienveillante à mes manœuvres. La gueule de soie rose, constamment entr’ouverte, semblait inviter ma main à y rejoindre une autre petite main s’y dérobant à l’hiver. Si j’avais été poète, j’aurais composé une jolie ode au manchon, dans le goût de ces poésies du XVIIIe siècle que nous ont laissées les abbés de boudoir. — Messieurs, dit le professeur d’un air grave à l’ouverture de la séance, j’ai reçu une lettre… — En entendant ces mots, je pâlis, car il me semblait que tout le monde avait les yeux sur moi, que la dame sévère s’était plainte de ma correspondance, que le naturaliste avait découvert l’intrigue qui se passait dans la salle des primates, que peut-être j’avais été dénoncé par de curieux et jaloux vieillards ; mais je me rassurai en voyant la jeune fille sourire, sans doute de ma mine. Il s’agissait de la fameuse question de l’arrêt de développement, qui avait soulevé quelques scrupules dans l’esprit d’un auditeur timide. Effrayé à l’idée que l’homme n’était qu’un animal un peu plus complet que les autres, il voulait mettre sa conscience en paix et suppliait le professeur de s’expliquer positivement sur ce chef. À mon tour, je ris de la naïveté de ce curieux, qui s’imaginait que le naturaliste allait mettre à nu ses pensées intimes, pensées matérialistes qui le lendemain l’eussent fait chasser de sa chaire. En effet, le professeur louvoya, prit un langage philosophique habillé d’une langue incompréhensible ; l’homme à l’arrêt de développement n’en fut pas plus avancé, il fut heureux seulement d’avoir prouvé qu’il écoutait le naturaliste, et celui-ci fut tout fier de trouver enfin un auditeur sérieux.