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d’eau est encore un fluide élastique ou gaz que développe la chaleur, et dont l’irrésistible énergie unit, chose rare dans les moteurs, la vitesse à la force.

Tous ces fluides élastiques, ces gaz, sont caractérisés par une légèreté telle qu’étant enfermés dans des vases de grande capacité, ils n’en augmentent que très peu le poids. Ils sont donc peu compactes, peu condensés, ou, pour parler le langage précis de la physique, ils ont un poids spécifique fort petit. Ce serait néanmoins une grande erreur de croire que la légèreté fût un attribut constant de l’état élastique. En renfermant des liquides dans des enveloppes de fer ou dans d’épais tulles de verre, et en les chauffant fortement, au risque des plus dangereuses explosions, M. Cagniard de la Tour, membre de l’Institut, est parvenu à les gazéifier dans un petit volume, et leur a donné ainsi une grande compacité, jointe à une élasticité formidable. L’eau, l’alcool, l’éther, ont subi cette étonnante modification, et si l’on imagine les matières terrestres ainsi gazéifiées par le feu central du globe, on n’aura aucune répugnance à imaginer que de tels fluides joignent à un poids égal à cinq ou six fois le poids de l’eau une force élastique suffisante pour porter le poids des couches terrestres, de la surface jusqu’au centre.

Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit, dans la Revue[1], de l’origine astronomique de la terre. La cosmogonie mécanique de Laplace nous montre la terre et les planètes se conglomérant à l’état de fluidité élastique, formant des masses arrondies qui tournent sur elles-mêmes et conservent dans leur intérieur le feu qu’elles tenaient de leur origine solaire. Buffon avait imaginé aussi une terre fluide de feu en supposant qu’une comète avait détaché par son choc une petite partie de la matière solaire, mais il ne donnait à cette matière détachée du soleil que la fluidité liquide ordinaire des matières fondues, et de plus il admettait que depuis les âges anciens la terre avait eu le temps de se refroidir jusqu’au centre et de se solidifier. Or c’est ce que contredisent tous les faits de la science moderne. La théorie de Laplace est donc une grande induction vers cette vérité constatée d’ailleurs, que la terre est fluide.

Ce qui manque presque toujours aux idées scientifiques, c’est l’intérêt actuel. Les lois de la nature sont tellement fixes, qu’il importe peu de savoir aujourd’hui ou demain tel ou tel résultat des sciences d’observation. L’astronomie et la météorologie, par leurs phénomènes de chaque année ou de chaque saison, soit prévus, soit fortuits, offrent un peu plus de ce qu’on appelle aujourd’hui actualité ; mais quand on n’a rien à espérer ou à craindre des phénomènes de la nature, on s’en met rarement en peine. Le sujet que nous traitons ici est devenu intéressant pour le public par la circonstance du tremblement de terre récent qui s’est fait sentir en Suisse et dans quelques localités de la France[2]. Lorsqu’une circonstance imprévue amène l’attention publique sur un fait ou une catastrophe physique, bien des personnes s’adressent à ceux qu’elles croient pouvoir leur donner des nouvelles de ce pays inconnu grâce à notre éducation ou à notre nature, et que l’on nomme la science. Alors on croit aveuglément celui qu’on interroge, on lui demande des oracles, et non des démonstrations. Il n’en est plus de même

  1. Voyez la livraison du 15 mai 1855.
  2. Voyez, sur les Tremblemens de terre, la livraison du 15 août dernier.