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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1149

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recommande par une puissante originalité. L’expression extatique et rayonnante du principal personnage, qui marche à la mort comme à une fête, la joie triomphante de sa mère, sont des traits de génie et ne réveillent aucun souvenir. Comparé à l’Apothéose d’Homère, le Martyre de saint Symphorien acquiert un nouvel intérêt, car il y a dans le dessin des figures une énergie qui va parfois jusqu’à la violence, tandis que tous les personnages groupés autour du père de l’épopée se distinguent par la pureté des lignes, par la simplicité, la sobriété du modelé. Le Martyre de saint Symphorien représente dans la vie de M. Ingres quelque chose d’analogue aux Sibylles de Sainte-Marie de la Paix dans la vie de son maître bien-aimé. Il a voulu prouver que la grâce n’était pas son domaine exclusif, et nous devons avouer que la démonstration est complète. Cependant il n’a pas persévéré dans ce nouveau style, et je crois qu’il a eu raison, de même que son maître a bien fait, après les Sibylles de Sainte-Marie et l’Isaïe de Saint-Augustin, de revenir au style de l’École d’Athènes et du Parnasse. Je n’hésite pourtant pas à mettre le Saint Symphorien sur la même ligne que l’Apothéose d’Homère. Quoique ma prédilection soit acquise à ce dernier ouvrage, je reconnais dans le premier un savoir prodigieux, une invention pathétique, une variété d’expression qui n’appartiennent qu’aux maîtres consommés.

Le portrait de M. Bertin, exposé pour la première fois en même temps que le Martyre, se recommande par les mêmes qualités. Popularisé par le burin d’Henriquel Dupont, qui en a merveilleusement rendu le caractère, il jouit depuis vingt ans d’une renommée européenne. Le masque est modelé avec une fermeté qui n’a jamais été surpassée. Les yeux regardent, et la bouche parle. Pour ceux qui ont connu le modèle, c’est une véritable résurrection ; quant aux spectateurs qui ne peuvent pas apprécier le mérite de la ressemblance, ils admirent l’expression du visage. Les mains appuyées sur les genoux sont dessinées avec une habileté magistrale. On peut les proposer comme sujet d’étude à tous les peintres qui veulent imiter ce qu’ils voient sans descendre jusqu’aux détails mesquins. Pour moi, le portrait de M. Bertin est le meilleur et le plus beau de tous ceux qu’a signés M. Ingres. L’auteur n’a rien fait d’aussi vrai, d’aussi vivant. Le portrait de Mme de Rothschild est plein de grâce et d’élégance, mais je n’y trouve pas l’accent de vérité qui me frappe dans le portrait de M. Bertin.

La Vénus Anadyomène appartient au premier séjour de l’auteur en Italie, quoiqu’elle n’ait été achevée que dans ces dernières années. C’est une création éclatante de jeunesse et de beauté. C’est bien la divine Aphrodite telle que nous la représente Hésiode dans sa Théogonie. La merveilleuse pureté des contours, la mollesse voluptueuse