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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1160

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pensée ? Est-ce qu’il ne doit pas peindre toutes les figures, depuis l’empereur jusqu’au Christ, avec le même artifice, en tenant compte des données acquises à la science du dessin ? Je ne voudrais pas pousser l’analyse jusqu’à la subtilité. Cependant ou cette singularité n’offre aucun sens, ou elle pourrait signifier que la foi chrétienne n’est plus la foi de notre temps, que pour la trouver vivante il faut remonter jusqu’à Giotto. Ce n’est certainement pas ce que M. Gérôme a voulu exprimer. Quel était donc son dessein ? Croit-il que le style du XIVe siècle convienne seul à l’expression de la pensée religieuse ? Ce serait une hérésie réfutée surabondamment par l’histoire de la renaissance. Malheureusement le reproche que je lui adresse n’est pas le seul que mérite son tableau. Ses figures païennes, habilement peintes, j’aime à le reconnaître, n’offrent pas des types choisis avec assez de sévérité. Or une composition qui n’a pas pour soi l’intérêt dramatique doit au moins se recommander par la pureté des lignes qui réjouit les yeux et enchaîne l’attention.

M. Hamon est un des plus charmans esprits de notre temps, et c’est avec plaisir que nous lui avons rendu justice. Nous avons appelé l’attention sur le mérite de la Comédie humaine, sur les beaux enfans qui regardaient Guignol ; nous avons loué comme nous le devions la grâce et l’élégance qui recommandent son idylle : Ma Sœur n’y est pas. Cette année, en remettant sous nos yeux les deux ouvrages précèdens, il nous donne l’Amour et son troupeau. Il nous serait doux de parler de ce dernier ouvrage comme nous avons parlé des deux premiers ; mais ce serait mal servir le talent de M. Hamon que de lui cacher le danger auquel il s’expose. Sa fantaisie ingénieuse dédaigne trop résolument la sévérité de l’exécution. Ce que nous avons accueilli avec indulgence dans la Comédie humaine et dans son idylle, nous devons le blâmer dans l’Amour et son troupeau. M. Hamon continue à prendre une esquisse pour un tableau, et ses vrais amis trahiraient sa cause en ne l’avertissant pas. La composition nouvelle qu’il soumet au jugement de la foule n’est pas moins heureuse que ses sœurs aînées. Ce qui nous oblige à la juger plus sévèrement, c’est qu’elle est la dernière venue. Le sujet de ce tableau a fourni à M. Leconte de Lisle une pièce de vers qui ne s’accorde pas tout à fait avec l’impression produite par l’œuvre de M. Hamon, mais en explique très bien la pensée : je veux parler des Damnés de l’Amour. Entre les mains du poète, la conception du peintre a pris quelque chose de sinistre, et je puis dire d’inattendu. Quoi qu’il en soit, nous ne saurions hésiter sur le sens de sa composition : l’Amour mène l’humanité comme un troupeau. Je rends pleine justice à la vérité de la pensée. Malheureusement ces figures si ingénieusement conçues, dont le mouvement et la physionomie sont inventés avec tant