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une main plus habile, il rallierait sans peine un plus grand nombre de suffrages.

M. Jeanron nous a donné une Vue d’Ambleteuse qui révèle chez lui ; une grande finesse d’exécution. Il voit très bien et rend fidèlement ce qu’il voit. Ses débuts avaient été accueillis avec sympathie ; il a répondu aux encouragemens de la critique par un travail assidu, et il tient aujourd’hui un rang très honorable dans notre école. Ce que j’aime dans son talent, c’est la simplicité. Il n’essaie jamais de produire un effet théâtral, et, sans faire de grands frais d’invention, il réussit à charmer par la seule puissance de la vérité.

J’ai longtemps pensé que la renommée de M. Meissonnier ne reposait pas sur de solides fondemens. L’engouement de la foule pour ses ouvrages me semblait difficile à comprendre. L’exiguité du cadre qu’il avait choisi était à mes yeux la cause principale de son succès. Aujourd’hui je n’ai pas tout à fait changé d’avis ; cependant je reconnais volontiers qu’il s’est appliqué à démontrer la valeur de ses compositions prises en elles-mêmes, abstraction faite de la dimension qu’il leur donne. Il dessine avec pureté, il modèle avec soin, il invente des physionomies variées, des attitudes énergiques, et, sans abandonner complètement ma première opinion, je crois qu’il n’a pas surpris l’estime des connaisseurs. Le même talent appliqué sur une plus grande échelle obtiendrait-il d’aussi nombreux suffrages ? Je n’oserais l’affirmer. Il est malheureusement vrai que la foule professe un goût très prononcé pour les tours de force. La vérité intime de l’œuvre la touche moins vivement que la difficulté vaincue. Si M. Meissonnier, qui a représenté des scènes de nature très diverse dans un champ large comme la paume de la main, parvenait à réduire encore le cadre de ses compositions, et peignait une idylle sur une toile un peu moins large que l’ongle du pouce, il serait à craindre que la foule ne le proclamât le premier des peintres contemporains. Il faut toutefois lui rendre justice. Il y a chez lui un grand talent de composition, et chacune de ses figures est exécutée avec tant de finesse, qu’elle étonne les plus habiles. Si l’on consent à oublier l’exiguité du cadre, qui excite l’admiration de la foule et la colère de quelques esprits chagrins, on reconnaît dans M. Meissonnier un des talens les plus fins de notre temps. Il lutte de précision avec Miéris, Terburg et Metzu, et ses figures, qui semblent peintes par une fée, tant le travail du pinceau est difficile à saisir, ont un relief qu’on ne trouve pas souvent dans les toiles de grande dimension. Si d’abord son mérite a été un peu surfait, il a pris soin de convertir les sceptiques, en justifiant par ses études persévérantes l’éclat de ses premiers succès.

J’ai revu avec plaisir, et je crois que mon impression est partagée