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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1175

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sifflent avec furie, et les glaces, en se heurtant, se brisent avec des bruits étranges, qui ressemblent à des plaintes confuses et remplissent les âmes les plus courageuses de funèbres pressentimens. Cependant, s’il faut en croire les navigateurs arctiques, on s’habitue peut-être plus facilement à l’obscurité continuelle qu’au jour sans fin qui lui succède. La nuit amène avec elle une sorte de langueur et d’engourdissement ; mais il semble que cette lumière incessante et perpétuelle, cette netteté même qu’elle imprime à tous les objets, aient quelque chose d’implacable et d’irritant : il y a dans les teintes amoindries du soir comme une douceur secrète qui appelle le repos. Les ressorts de la pensée se détendent avec le jour qui s’évanouit. La nuit n’est point une tyrannie de la nature, elle en est un bienfait.

C’est pendant les périodes crépusculaires que les paysages arctiques ont peut-être l’aspect le plus étrange et le plus poétique. Qui n’a ressenti le charme de ces instans, pour nous si fugitifs, quand le soleil a disparu, lorsque les ombres indéfiniment prolongées ont enfin tout envahi ? Quelques rares étoiles brillent dans le ciel, dont l’azur s’assombrit par degrés ; on reconnaît encore les objets, mais ils sont en quelque sorte indistincts et comme noyés dans d’épaisses vapeurs. Dans les zones polaires, cette lueur douteuse et inégale remplit le ciel durant des jours entiers ; les vastes plaines de glace et de neige, les sombres falaises des rivages, qui ne s’ouvrent que pour laisser passer les glaciers, se revêtent alors d’un caractère imposant et mélancolique. La nature du Nord a d’ailleurs ses singularités comme ses aspects pittoresques. Tout le monde a entendu parler du mirage : les illusions étranges qu’il détermine se lient presque toujours dans notre pensée aux souvenirs de la fameuse campagne d’Égypte, où elles égarèrent mainte fois l’armée française pendant ses pénibles marches à travers les sables du désert. Les pays chauds ne sont pas le théâtre exclusif de ce phénomène. C’est dans les régions polaires et pendant l’été arctique qu’il se déploie avec une magnificence dont rien n’approche, avec une variété qui défie toute description.

Dans l’état ordinaire de l’atmosphère, les couches d’air diminuent de densité à mesure que l’on s’élève au-dessus de la terre ; mais il peut arriver que par suite de l’échauffement rapide et excessif du sol les couches d’air qui sont en contact avec lui s’échauffent considérablement et deviennent ainsi moins denses que celles qui sont plus élevées. Comme les déviations qu’un rayon de lumière subit en traversant plusieurs couches d’air sont en rapport intime avec la densité de ces couches, il arrive que les rayons qui viennent de l’horizon se courbent et finissent par s’y réfléchir comme dans de véritables miroirs : l’œil voit alors dans le ciel des images renversées au bord de l’horizon, et nécessairement très fugitives. Les couches