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le palais des princes montagnards et dans les villas des consuls, j’allais, de Beyrouth à Jérusalem, vivre de plus en plus au milieu des nombreux représentans que le monde catholique a conservés en Orient. C’était un nouveau sujet d’étude qui allait s’offrir à moi, et me distraire des âpres émotions de la vie nomade.

Je n’en avais pas fini avec cette vie cependant, et à peine sortis de Beyrouth, nous nous retrouvâmes aux prises avec les mille obstacles d’un voyage d’Orient. Ce n’est qu’après une marche des plus pénibles, commencée le jour, continuée la nuit, que nous atteignîmes Seïda, notre première étape. Une fois à Seifda, nous eûmes hâte d’aller frapper à la porte du khan français, car Seïda possède un khan français, et les voyageurs européens de passage dans cette ville le connaissent bien. Le maître du khan est en même temps un des plus aimables agens consulaires que la France compte en Orient. Munie d’une recommandation du consul de France à Tripoli pour son collègue de Seïda, je fus accueillie avec une cordialité qui me fit regretter vivement de ne pouvoir faire une halte plus longue sous le toit du khan français. Le consul qui me faisait une réception si charmante a une nombreuse famille, dix enfans peut-être. Il touche d’assez faibles appointemens, garantis en grande partie par le revenu du khan, dont le chiffre décroît chaque jour. La caravane qui venait le surprendre se composait d’environ vingt personnes, sans compter les guides, les muletiers et mon escorte indigène. Nous n’avions pas mangé depuis près de vingt-quatre heures, et nous avions passé une nuit sans sommeil. Cependant nous nous serions gravement reproché de déjeuner aux dépens d’un hôte dont nous connaissions la position difficile, et notre projet était, après une courte visite au consul, d’aller faire notre repas du matin, avec des provisions achetées au bazar, sous les premiers ombrages rencontrés au sortir de la ville. L’extrême obligeance du consul ne nous permit pas d’exécuter ce plan si bien conçu. Les instances de notre hôte n’étaient pas, nous le comprîmes sans peine, de vaines formules de politesse. À nos objections multipliées il opposa des argumens irrésistibles en nous menant dans une salle à manger, où, sur une table servie à l’européenne, un splendide déjeuner fumait en notre honneur. Dès lors il fallut céder, et le consul français eut d’autant plus aisément raison de mes scrupules, que l’Asie n’était représentée dans sa collation que par des fruits exquis et de merveilleuses confitures.

Pendant que nous déjeunions si comfortablement, nos gens étaient traités avec la même profusion, et nous quittâmes le khan français avec un sentiment de reconnaissance que le meilleur repas n’excite pas toujours. Restait maintenant à gagner Jérusalem le plus promptement possible. Le consul de Seïda nous donna toutes les indications