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Saint-Saba avaient fait serment de ne plus ouvrir leur couvent à aucun étranger, apportât-il une lettre du tsar orthodoxe lui-même. Aussi, quand nous frappâmes, haletans de soif et de fatigue, à la porte du monastère, ne réussîmes-nous qu’à attirer sur les remparts un moine armé d’une énorme pierre qu’il menaçait de nous jeter à la tête, si nous nous arrêtions davantage. Notre cheik arabe intervint alors, il demanda non pas l’entrée du monastère, mais quelques provisions contre argent. Ces pourparlers amenèrent sur les remparts d’autres moines armés de fusils, qui nous couchèrent en joue. Nous étions au moment d’accepter le combat quand un nouvel effort d’éloquence du cheik triompha enfin de la résistance des pères, qui consentirent à nous descendre du haut des murs, avec des cordes, quelques seaux remplis d’une eau tiède qu’on se partagea avec avidité. Les cavaliers arabes de notre escorte refusèrent seuls d’y tremper leurs lèvres. Ces hommes, habitués à la vie sobre du désert, n’éprouvaient aucune des souffrances de nos compagnons européens : à l’heure de midi, après une demi-journée de marche, ils étaient aussi calmes, aussi dispos qu’au moment du départ.

N’ayant pu nous arrêter à Saint-Saba, nous ne cessâmes de marcher jusqu’à la fin du jour. On bivouaqua la nuit au pied d’une tour ruinée, voisine de Saint-Saba, où les moines daignent tolérer la présence des voyageurs. Le lendemain, nous nous remîmes en marche avant le lever du soleil, et nous étions parvenus au sommet des dernières montagnes qui forment la vallée du Jourdain, lorsque le jour commençait à poindre. Nous n’aperçûmes d’abord qu’un tapis de brouillards étendu à nos pieds. Peu à peu ces brouillards se massèrent et se formèrent en pavillon au-dessus de nos têtes. C’était l’heureux présage d’une de ces journées nuageuses si rares en Orient à cette époque de l’année. La vallée du Jourdain s’ouvrait devant nous, vaste et dépouillée. Sur notre droite, elle était fermée par une nappe d’eau noirâtre sur laquelle planaient encore les vapeurs matinales. C’était cette Mer-Morte dont les vagues roulent sur les ruines de Sodome. À gauche, la vallée s’étendait aussi loin que la vue pouvait atteindre, toujours aride et stérile ; mais où donc était le Jourdain ? Par quelle voie se jette-t-il dans la Mer-Morte ? De la hauteur où je me trouvais, je n’apercevais rien qui annonçât le cours d’un fleuve, rien, si ce n’est à une grande distance, se détachant comme sur un fond de craie, une ligne d’un vert sombre presque imperceptible.

Après une courte halte, nous prîmes le chemin de la vallée. La descente dura plus de deux heures, car la Mer-Morte est l’un des points les plus bas du globe. Nous nous arrêtâmes un moment sur ses bords. Un de nos compagnons prétendait transporter dans la vallée du Jourdain les habitudes parisiennes, et trouvait l’endroit commode pour