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Rien n’est plus beau, plus riche et de meilleur goût que leurs édifices, leurs ornemens d’église et leurs demeures. Dans toutes les villes de l’empire ottoman, les plus belles maisons leur appartiennent, et ces maisons, non plus que leurs églises, ne sont pas seulement magnifiques ; elles sont propres, bien tenues, élégantes et commodes. Leurs manières sont celles de grands seigneurs, et l’intérieur de leurs palais répond parfaitement à l’idée que nous nous faisons en Europe d’une demeure princière en Asie. Le couvent arménien de Jérusalem est immense, composé de plusieurs bâtimens et entouré de jardins délicieux. Une bibliothèque riche en beaux manuscrits et en miniatures sur parchemin, leur trésor rempli de pierreries montées avec un goût exquis, enfin leurs vêtemens sacerdotaux tissus d’or, d’argent et des soies les plus éclatantes, tout cela éblouit la vue et charme l’imagination. Le patriarche arménien, entouré de ses moines à longues barbes bien soignées, à la robe violette, au bonnet et au voile flottant de la même couleur, ne ressemble guère à un chef de communauté monastique européenne. Il a dû leur en coûter beaucoup de s’humilier comme ils l’ont fait pendant tant de siècles devant le pouvoir de leurs conquérans, ou plutôt ils ont dû tirer de grands avantages de cette humiliation si patiemment supportée, car ce ne sont point des hommes à se prosterner dans la poussière seulement parce qu’il est dangereux de demeurer debout.

Cependant l’heure du départ avait sonné. J’étais depuis un mois à Jérusalem, le but de mon voyage était atteint, et je n’avais plus de temps à perdre, si je voulais gagner des régions plus tempérées avant la canicule de Syrie. Je partis donc, je sortis de l’enceinte crénelée où j’étais entrée si émue, et, arrivée au sommet de la colline d’où j’avais un mois auparavant aperçu Jérusalem, je me retournai pour adresser à la ville sainte un dernier regard. — Un dernier ? Mais sais-je bien si ce sera le dernier ? Telle est la question que je me fis en quittant Jérusalem, et que je me fais encore aujourd’hui.


IV. — LE KORAN ET LA RÉFORME EN TURQUIE.

Les lieux que je visitai après avoir quitté Jérusalem, — Damas, Alep, le Liban, m’offrirent des aspects de la vie nomade et de la vie intime peu différens de ceux que j’avais observés à Angora, Latakié, ou dans les montagnes de Djaour-Daghda. Je n’ai donc plus qu’à résumer les impressions que me laissait cette longue course à travers l’Orient turc et arabe. De retour dans ma paisible vallée d’Anatolie, je comprenais mieux les conditions faites aux populations qui m’entouraient par les traditions qui les dominent et les