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néanmoins, aucun malheur ne peut avoir raison de son courage. Plus tard, Bartolini n’épargnait pas les épigrammes à qui se complaisait un peu trop dans les plaintes, et certaine école littéraire de notre pays, l’école larmoyante, pourrait-on dire, de René et d’Obermann, excitait sa verve railleuse, ou étonnait pour le moins sa raison. Nous n’avons pas ici à prendre parti pour ou contre les œuvres de cette école ; mais il faut avouer que jamais homme n’eut mieux que celui-là le droit de montrer peu de sympathie pour le découragement et les souffrances oisives, peu de respect pour leurs apologistes.

Bartolini, à l’époque où il vint se fixer à Paris, n’avait fait preuve encore que d’une rare force de volonté, d’un ardent amour de l’étude. Une vocation spéciale l’entraînait vers les arts, mais, en dehors de ces dispositions naturelles, rien n’annonçait chez lui un talent déjà exercé. Les courts momens passés à l’académie de Florence, ou, çà et là, dans l’atelier de quelque statuaire, quand ses occupations d’apprenti alahastraio lui en laissaient le loisir, n’avaient pu donner à Bartolini ni des principes fort sérieux de science ni une grande habitude pratique. En entrant dans l’école de David, il commençait donc en réalité son éducation d’artiste, et se trouvait pour la première fois sous l’autorité d’un maître. Celui qu’il avait choisi était bien en mesure de démêler ses inclinations secrètes, et de le diriger en conséquence. David, nous avons eu occasion de le faire remarquer ailleurs[1], avait, entre autres mérites, une aptitude singulière à discerner les dispositions propres à chaque élève et le courage d’oublier en face d’elles son goût personnel et sa manière. Il reconnut bientôt dans les essais du jeune sculpteur un sentiment simple et fin à la fois, quelque chose de cette largeur naïve qui caractérise l’ancien art florentin et exprime la vérité sans mélange de réalité vulgaire. Approuvé par David, Bartolini laissa à d’autres le soin de contrefaire dans leurs études les statues antiques, et continua de traduire la nature comme il l’entendait, sans interposer à tout moment entre elle et lui les types officiels de la beauté. Qui sait la part d’influence qu’eurent sur les progrès et la forme définitive de ce talent les premiers encouragemens donnés par le maître ? Un peu moins de clairvoyance ou d’abnégation chez celui-ci, et peut-être l’avenir tout entier de l’élève était-il compromis ; une organisation d’élite se trouvait faussée ou tout au moins gênée pour longtemps par des habitudes mal à propos imposées. Qu’on ne se méprenne pas pourtant sur l’étendue du service rendu à Bartolini par David. Nous ne prétendons pas attribuer aux leçons du peintre français une autorité telle que l’on puisse réclamer comme un des nôtres l’habile

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 mai 1855.