Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne voyaient du beau que les surfaces, et ne savaient que sacrifier le sentiment à un semblant de correction extérieure, l’inspiration à la syntaxe. Bartolini ne voulait pas renfermer l’art dans de si étroites limites. Il entendait bien rendre sa pensée dans un style noble et sévèrement châtié ; seulement ce qui pour d’autres était le but n’était à ses yeux qu’un moyen dont il se réservait de modifier l’emploi suivant les sujets à traiter et la destination particulière du travail. Sous l’influence de Canova et de David, mais de David mal compris et mal à propos copié, tout artiste italien aurait cru faire acte de félonie en s’affranchissant, même dans les cas les plus légitimes, de la discipline académique. Qu’un tableau ou un marbre dût figurer dans une église ou dans un palais, qu’il s’agît de traduire un verset de la Bible, une page de l’histoire ou une allégorie païenne, les types et le style demeuraient invariables. Partout même mode de composition, même goût jusque dans les ajustemens, et la Judith de M. Benvenuti à Arezzo aussi bien que ses peintures profanes, le tombeau de Pignotti au Campo Santo de Pise aussi bien que les autres sculptures chrétiennes ou mythologiques de M. Ricci, montrent assez cette manie d’archaïsme qui s’appliquait uniformément à tous les sujets.

Bartolini au contraire variait avec une sagacité remarquable non-seulement les données premières, mais le style même de ses compositions. Un vif amour de la nature, une volonté persistante d’étudier de près et de rendre la vie là où ses confrères ne visaient qu’à la réduire à une apparence figée, voilà ce qui distingue avant tout ses travaux, quels qu’ils soient ; voilà le caractère dominant et la marque essentielle de ce talent. Mais la nature telle qu’il l’interprète a tantôt un sens gracieux, tantôt une signification pathétique ou une expression de grandeur. Elle ne se montre pas en quelque sorte pour se montrer, on comprend ce que l’artiste a senti en face d’elle, et les formes de ce sentiment, appropriées aux conditions de chaque scène, intéressent d’autant plus sûrement l’esprit que le regard n’est fatigué par l’étalage d’aucun procédé d’école. On ne saurait mentionner ici parmi les œuvres de Bartolini toutes celles qui témoignent de son aptitude à changer de manière en changeant de modèle. Il suffira de citer comme spécimens de cette rare souplesse d’intelligence et de pratique trois morceaux de caractère bien opposé, également vrais pourtant, chacun selon le genre de vérité qui lui convenait : la Charité du palais Pitti, le Machiavel des Offices, et le beau groupe d’Astyanax précipité du haut des remparts de Troie, — morceau supérieurement conçu et traité dans un goût plus ample, plus profondément antique que telle composition contemporaine où tout est littéralement conforme aux exemples de l’antiquité. Enfin