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d’expression qui constituaient jusque-là l’originalité de l’art français. Une pratique habile, mais froide, une grâce immobile, quelque chose de tendu et de pédantesque dans le style, voilà ce qui caractérise les œuvres de la sculpture nationale vers le commencement de ce siècle, et les meilleurs morceaux produits à cette époque, le Cyparisse de Chaudet entre autres ou la Pudeur de Cartellier, attestent moins encore un sentiment personnel que des habitudes académiques. Depuis lors, il est vrai, on renonça en partie à cette méthode conventionnelle. M. David, M. Rude, M. Duret, quelques autres statuaires, firent de louables efforts pour réagir contre les entraînemens de l’école et la ramener au goût de la vérité. Enfin un artiste dont le talent, très digne d’éloges à certains égards, mérite sous d’autres rapports des reproches sévères, Pradier réhabilita avec plus de succès que personne l’étude si longtemps abandonnée de la nature. Malheureusement Pradier eut un grand tort : il outrepassa la limite, et il lui arriva trop souvent de sacrifier la vérité chaste à la vérité sensuelle, la pure expression du beau à un art de harem ou de boudoir.

Sans doute le talent de Bartolini a aussi ses défauts, et, comme les artistes que nous venons de mentionner, le maître florentin n’est pas en mesure de défier absolument la critique. Il n’y aurait que justice, par exemple, à accuser chez lui un besoin de produire tournant souvent à l’abus de la facilité, et, comme conséquence de cette précipitation dans le travail, des inégalités ou de graves négligences. Certaines figures de Nymphes et beaucoup de portraits en buste sont des œuvres tantôt insignifiantes, tantôt ouvertement faibles, que Bartolini semble avoir improvisées pour se libérer tant bien que mal d’engagemens qui lui pesaient ou pour remédier au plus vite au désordre d’ailleurs assez habituel de ses affaires. Toutefois, si au lieu de le juger sur ces travaux secondaires qui ne peuvent rappeler que les agitations ou les nécessités de sa vie, on prend pour objets d’examen les travaux qui résument le mieux l’histoire de son talent, nul doute que ce talent ne se montre plus foncièrement robuste, plus souple en même temps et à tous égards plus complet qu’aucun autre. Les qualités propres à chacun des artistes dont nous avons cité les noms, Bartolini les a possédées réunies, et il n’est pas de morceau de sculpture, parmi les plus remarquables de notre siècle, qui ne puisse trouver dans quelqu’un de ses ouvrages un type supérieur ou tout au moins un équivalent. L’Enfant jouant avec une tortue, par M. Rude, le Pêcheur napolitain de M. Duret et les meilleures figures de Pradier n’ont pas plus de grâce juvénile ni de délicatesse que le Vendangeur foulant des raisins. La Madeleine de Canova, fût-elle par l’expression aussi pathétique que la Miséricorde de Bartolini, manquerait à coup sûr de l’ampleur de style qui complète la