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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1283

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du moins servir à calmer pour un temps les appréhensions du tsar. Charles XIII n’avait pas consenti sans scrupules à l’exclusion du fils de son neveu. Le prince d’Augustenbourg était l’élu des hommes de 1809, mais leurs ennemis allaient être les siens. L’ancienne aristocratie suédoise, les Ruuth, les d’Ugglas, les La Gardie, les Fersen, se voyaient menacés par la révolution dans leur crédit, dans leurs privilèges et leurs richesses. Ils étaient résolus à tout risquer pour renverser la nouvelle constitution et rétablir l’ancienne dynastie. Ils formèrent un club qui eut son organisation régulière, sa police secrète, et où s’élaborèrent, avec leurs différens projets, les calomnies qu’ils crurent utile d’inventer et de répandre. Avant l’élection du prince royal, ils avaient essayé, s’appuyant sur le crédit de la reine et soutenus auprès d’elle par la comtesse Piper, sœur des Fersen, de faire désigner par Charles XIII le prince Vasa, fils de Gustave, comme héritier de la couronne. Après l’élection, contraire à leurs vœux, on les vit imaginer les desseins les plus extrêmes, tantôt un soulèvement populaire en Dalécarlie, tantôt une délivrance par surprise ou par force de la famille royale prisonnière à Gripsholm. Puis, invoquant la séduction et la ruse, ils voulaient arriver à faire élire le fils de Gustave par le prince royal lui-même pour son futur successeur ; ils répandaient le bruit de cette promesse, comme si elle était réelle, et affirmaient que le prince royal s’était engagé à ne pas se marier. Contre ces intrigues, le parti du gouvernement, ayant recours aux mêmes armes que ses ennemis, forma, lui aussi, un club qui eut comme l’autre ses espions et ses pamphlétaires, et ne dédaigna pas d’employer également les fausses nouvelles et la calomnie. Chacun des deux partis se pressait, car le roi malade semblait n’avoir plus que quelques jours à vivre[1]. Adlersparre, celui que nous avons vu projeter et commencer la révolution, prit contre la ligue aristocratique quelques précautions utiles : il essaya, sans réussir il est vrai, de faire épouser au prince d’Augustenbourg une princesse de la famille de Napoléon ; il fit sortir secrètement de Suède la famille royale, et se mit en route, au commencement de décembre 1809, pour ramener à Stockholm le prince royal, qui, bien qu’élu, était resté en Norvège, et qu’il était important d’avoir sous la main, soit pour le soustraire aux suggestions ennemies, soit pour le proclamer roi immédiatement dans le cas où Charles XIII viendrait à mourir.

Ici commence tout un drame qui ne doit pas être omis dans le tableau de cette période agitée, et dont les conséquences se font sentir

  1. On sait qu’il vécut ainsi pendant neuf années encore. Charles-Jean (Bernadotte) ne succéda à Charles XIII qu’en 1818.