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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1291

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ira bien. » M. de Lagerbielke, en transmettant cette dépêche, affirmait que le choix d’un prince de la maison d’Oldenbourg ne plairait nullement à l’empereur.

À n’en pas douter, Napoléon inclinait secrètement vers la réunion des trois couronnes, projet digne de son génie, et dont un rare concours de circonstances semblait devoir favoriser alors l’exécution. Sans parler des chances d’un avenir éloigné et des intérêts généraux du Nord, on pouvait déjà prévoir que l’alliance de la France avec la Russie ne durerait plus bien longtemps. Maintenant que la Russie avait tiré de si grands avantages de l’alliance conclue à Tilsitt, maintenant qu’elle avait élevé dans les Aland des fortifications qui rendaient ces îles imprenables, elle paraissait disposée à rompre avec Napoléon, après l’avoir trompé, et à se rapprocher de l’Angleterre. Toutefois Napoléon ne voulait pas donner à cette alliée suspecte une raison de l’accuser lui-même, et il se gardait bien de se prononcer tout haut contre les désirs d’Alexandre. M. Désaugiers fut rappelé pour s’être avancé aussi loin sans avoir reçu de son gouvernement des instructions qui l’y eussent autorisé. Napoléon croyait d’ailleurs avoir encore besoin de l’alliance de la Russie, et il ordonnait à ses agens diplomatiques de démentir tout bruit de mésintelligence entre le tsar et lui. Quoi qu’on dût penser néanmoins des avantages et de l’opportunité du projet tendant à réunir les trois couronnes, ce plan venait infailliblement échouer contre les haines mutuelles qui divisaient les trois peuples Scandinaves, et nul n’aurait pu persuader à la Suède de se soumettre au roi de Danemark. Vainement Frédéric VI promit-il non-seulement de conserver la constitution suédoise de 1809, mais de l’étendre même au Danemark, de n’administrer la Suède que par des fonctionnaires suédois, de résider une moitié de l’année dans ce royaume : rien ne pouvait faire accepter aux peuples du Nord une réunion détestée.

C’est au milieu de ces cruelles incertitudes du gouvernement suédois, hésitant entre le duc d’Augustenbourg, sur lequel Napoléon ne s’expliquait pas, et Frédéric VI repoussé par l’instinct national, que se déclara subitement une nouvelle candidature, tout à fait inattendue, amenée par les circonstances les plus bizarres, — celle de Bernadotte, ancien sergent au Royal-Marine, devenu maréchal de l’empire et prince de Ponte-Corvo,

Un simple lieutenant de l’armée suédoise, M. Mörner, chargé d’apporter des dépêches à M. de Lagerbielke, arrive à Paris au milieu de juin 1810. M. Mörner est jeune, ardent, inquiet de l’avenir pour sa patrie et pour lui-même. Ami de la France, admirateur de Napoléon et de ses compagnons d’armes, il conçoit l’idée d’offrir la couronne