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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/152

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de Dieu et des hommes. La petite cour de Carlsruhe devint le foyer de toutes les intrigues anti-françaises, et il n’est pas bien sûr que Gustave IV n’ait pas été dans le secret de la conspiration ourdie en Angleterre par Cadoudal et Pichegru.

Toutes ces obscures menées n’échappèrent pas à celui qu’on espérait vainement arrêter. Si Gustave était entouré d’émigrés et d’ennemis du nouvel empereur, autour de lui veillaient sur toute sa conduite et tout son langage une foule d’espions de tout rang et de toute espèce. Une certaine baronne entre autres était venue assez récemment s’établira Carlsruhe ; elle avait suivi, disait-elle, l’armée de Condé, et se montrait toute dévouée aux intérêts de l’émigration. Belle, aimable, donnant de grandes fêtes où elle faisait parade de ses sentimens royalistes, elle était facilement parvenue à lier amitié avec la princesse de Rohan, naguère mariée secrètement au duc d’Enghien ; on l’entendait parler du prince avec une vive admiration, et sa voix émouvante arrachait des larmes quand elle chantait sur la harpe sa romance favorite ; bien plus, elle avait fait dresser dans une partie retirée de son appartement une sorte de chapelle où ses amis la voyaient, à la clarté d’une sombre lampe, en habits de deuil, agenouillée devant un autel que surmontait une image du duc d’Enghien couverte de crêpes. Au demeurant, avenante, gracieuse et spirituelle, séduisante par sa feinte douleur ou son élégance fardée, elle s’introduisit dans les bonnes grâces et dans l’intimité des principaux personnages qui entouraient Gustave IV, et finit par être si bien avec le ministre de Suède, qu’elle prit connaissance, dans son bureau même, de ses papiers et de ses notes les plus secrètes. Rien n’échappa donc à Napoléon des intrigues ourdies par Gustave de concert avec l’émigration ; il s’irrita contre « ce petit roi qu’il effacerait de la carte d’Europe, s’il voulait seulement permettre à ses voisins, qui l’en pressaient, d’occuper ses états. » Tantôt il lui faisait donner avis par le prince de Bade de quitter Carlsruhe et de s’éloigner des frontières de France, tantôt il parlait de le faire enlever, comme le duc d’Enghien, et de l’amener prisonnier à Paris. Le bruit se répandit même que le ressentiment de l’empereur allait donner lieu à un partage de la Suède. Ce qui semble plus certain, c’est que Talleyrand et Duroc détournèrent à cette époque Napoléon de toute extrémité ; mais il leur disait encore, après que Gustave eut quitté le pays de Bade (12 juillet 1804) : « Vous verrez ce qui en résultera ; en politique, il ne faut s’inquiéter de rien quand il s’agit de mettre un ennemi hors d’état de vous nuire. »

Le reste du voyage de Gustave en Allemagne ne fut en effet qu’une suite de négociations contre la France, et les rapports diplomatiques furent définitivement interrompus entre les cabinets de Stockholm