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de l’Autriche à Ulm et Austerlitz et de la Prusse à Iéna et Auerstedt, lui offrait, avant de s’engager dans la lutte qu’il méditait contre la Russie, de terminer leurs dissentimens. Un aide de camp du maréchal Mortier fit même entendre au baron Essen, qui commandait l’armée suédoise en Poméranie, que l’empereur, connaissant l’entêtement du roi dans certaines idées fixes, ne mettrait pas en question la reconnaissance de son titre impérial. Malheureusement plus que jamais les images de l’Apocalypse étaient présentes à l’imagination de Gustave ; c’eût été à ses yeux un effroyable sacrilège que de traiter avec le Belzébuth, et il eût cru y perdre son âme. On lui insinuait tout au moins de rester neutre ; il s’y refusa, parce qu’il ne pensait pas pouvoir se soustraire à la mission, qu’il disait avoir reçue de Dieu même, de châtier l’usurpateur et de venger la légitimité. Comme l’incurie et, à son gré, l’aveuglement des autres cours le laissaient à peu près sans finances, et que ses propres ressources étaient d’ailleurs presque nulles, on le vit recourir, pour s’en procurer de nouvelles, aux moyens les plus bizarres. Il songea, et avec obstination pendant quelque temps, à vendre la flotte militaire de la Suède à des compagnies particulières, qui en feraient ensuite argent comme elles l’entendraient ; il imagina un autre jour d’arrêter au passage les subsides payés par l’Angleterre à la Russie, et d’en séquestrer sous quelque prétexte une somme qui put lui suffire. Un autre expédient s’était enfin présenté a son esprit : c’était de vendre la Poméranie. Au commencement de 1806, il avait envoyé à son ministre à Saint-Pétersbourg l’ordre de l’offrir à ce cabinet pour 6 ou 7 millions d’écus ; mais le comte de Stedingk lui avait répondu : « Sire, je n’ai pas présenté à sa majesté impériale une telle proposition ; vous pouvez perdre une province ; la vendre, jamais. J’en appelle à l’ombre du grand Gustave, dont votre majesté porte le nom et le cœur… » Les obstacles étaient donc innombrables devant lui ; aucun cependant ne pouvait vaincre son entêtement, parce qu’il avait les plus incroyables illusions sur la mission qu’il s’attribuait lui-même et sur les sentimens des autres hommes, qu’il ne pouvait concevoir différens des siens. Il avait commencé à former autour de lui, à Stockholm, sous le commandement du duc de Pienne, un régiment d’émigrés et de prisonniers français auquel il avait donné le nom de régiment du roi, et qui comprit jusqu’à trente-cinq hommes ; il espérait réunir sous ce drapeau tous les Français restés fidèles à la légitimité. C’est par suite de la même confiance, qui lui tenait malheureusement lieu de toute réflexion et de tout calcul, que Gustave IV s’embarqua de nouveau pour la Poméranie. « Le roi laisse pousser ses moustaches, écrivait quelques jours auparavant son secrétaire : grave présomption en faveur de son prochain départ. »