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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/170

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l’assassin de Gustave III était rangé parmi ceux des bienfaiteurs de l’humanité. Rien que fermés par le gouvernement de Gustave IV, ces clubs, nés pendant sa minorité, s’étaient transformés en sociétés secrètes et avaient laissé dans les esprits de redoutables semences. Sans parler d’ailleurs de tels excès, les idées constitutionnelles et sagement libérales s’étaient répandues parmi toute la nation ; non-seulement les esprits dans les villes n’étaient plus disposés à subir longtemps le despotisme, mais les habitans même des campagnes s’élevaient contre les privilèges et les redevances au nom de la justice mieux entendue, au nom de l’égalité.

C’était en présence d’une nation ainsi disposée que Gustave IV déployait toutes les prétentions de la légitimité, et le spectacle de cet orgueil puéril, qui allait se briser contre d’invincibles obstacles, eût offert plus d’une fois un contraste voisin du grotesque, si les destinées de tout un pays n’y eussent été engagées. Qu’on se représente l’étrange scène que dut offrir, au milieu des discussions orageuses de cette diète de Norrkoeping qui se montra d’une si ardente opposition, la cérémonie du couronnement de Gustave IV avec ses formes symboliques et traditionnelles. C’était le 3 avril 1800 ; une pluie constante avait rendu plus sales encore que de coutume les rues de la petite ville et la maison de bois que seule on avait pu offrir à sa majesté. Le cheval richement caparaçonné que montait le roi témoignant plus d’ardeur qu’il ne convenait, Gustave voulut le dompter ; malheureusement il avait négligé d’avertir les chambellans qui tenaient par derrière son manteau royal, et ces deux dignitaires, en habit de gala, durent courir à grand’peine, dans une boue épaisse, derrière le cheval qui caracolait à droite et à gauche, afin de ne point lâcher le manteau, ce qui eût été une infraction à leur devoir, et de se maintenir bravement au poste que leur dignité leur assignait. De plus, en passant avec la procession devant une maison où son cavalier ordinaire faisait souvent visite, l’animal voulut s’y arrêter suivant son habitude, et Gustave, jugeant cette fois que la résistance de la bête serait énergique, descendit de cette monture pour se rendre à la petite et pauvre église de Norrkoeping. La journée finit sans autre incident, mais elle laissa dans les esprits le souvenir d’une scène triviale, ou même, comme on le disait, d’un fâcheux présage.

En quittant son royaume pendant près de deux années, Gustave laissa le champ libre à tous les ressentimens qu’avaient excités ses premières fautes, aux doctrines ennemies de sa légitimité et à tous les germes de désordre intérieur. On trouva un jour ces mots inscrits sur la porte du château à Stockholm : « grands et beaux appartemens à louer pour un temps indéfini. » En effet, on ne croyait plus