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grand-chancelier Wachtmeister, le vieillard de soixante-dix ans est le chancelier Fr. Sparre, tous personnages qui ont joué un rôle important auprès de Gustave ; le régent enfin est le duc de Sudermanie (plus tard Charles XIII). Une dernière note, au sujet de la date du second document, dit : « Quiconque lit dans notre temps cette relation s’aperçoit facilement qu’elle a été fabriquée après les événemens de 1796, » c’est-à-dire après la régence du duc de Sudermanie et pendant le règne de Gustave IV. — Si le roi Charles XI a eu réellement une vision semblable, pourquoi ces différences de dates et de récit, et comment des témoins ont-ils pu attester la réalité de faits si étranges ? — Si ces deux pièces ne sont que des pamphlets, comme il est probable, quelle en a été l’intention ? On dit souvent en Suède qu’ils émanaient de la noblesse, mécontente de la constitution de 1772 et annonçant les dangers de la royauté absolue. M. Mérimée, d’accord avec cette interprétation, en a fait une prophétie très transparente de l’assassinat de Gustave III ; mais on voit bien, lorsqu’on étudie cette tradition, comme nous venons de le faire, dans sa source même, qu’il ne s’agit de rien de semblable. Ces pamphlets ne paraissent-ils pas au contraire opposés à la noblesse, dont ils prédisent le châtiment ? Ne semblent-ils pas annoncer que le pouvoir royal, menacé, presque renversé même un instant par ces nobles et par un régent infidèle, se relèvera de sa ruine pour devenir plus fort que jamais ? Quoi qu’il en soit, à une époque où un mysticisme bizarre séduisait dans le Nord un grand nombre d’esprits visionnaires ou illuminés (nous en rencontrerons dans la suite de notre récit beaucoup d’exemples, et le duc de Sudermanie lui-même était grand partisan du magnétisme et de la franc-maçonnerie), ces étranges écrits devinrent presque populaires ; ils furent interprétés selon la fantaisie de chacun, et le malheureux Gustave IV ne fut pas des derniers à vouloir y trouver une explication de l’avenir et des argumens en faveur de sa politique.

Au milieu de cette agitation bizarre, la pensée d’un grand changement devenu nécessaire, d’une révolution, s’était présentée à tous les esprits et leur était devenue familière. Des complots avaient déjà été formés contre Gustave, lorsque celui qui devait amener la journée du 13 mars fut résolument arrêté par les officiers qui commandaient l’armée de l’ouest. De tous les corps de l’état, nul n’avait été plus humilié que l’armée suédoise ; elle rougissait, bien qu’elle en eût été empêchée par son roi lui-même, de n’avoir pas sauvé la Finlande ; elle croyait qu’une alliance avec Napoléon ferait recouvrer à la Suède cette province ou la Poméranie, toutes les deux peut-être. Nous avons dit enfin combien de mauvais traitemens et d’insultes particulières elle avait dû subir, et quel ressentiment le licenciement des gardes lui avait laissé. L’armée de l’ouest en particulier,