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— Mais, sire, à la fin de la guerre il faudra convoquer la diète, la constitution l’ordonne, et alors cesseront tous les subsides ; votre majesté n’en obtiendra pas sans interruption jusqu’à l’extinction de la dette. — Où est-ce que cela est écrit, s’il vous plaît ? — Sire, dans la constitution… — Que m’importe ? Je ferai un fonds d’amortissement, et les impôts continueront jusqu’à l’extinction de la dette. Et si à la fin de la guerre les états se réunissent, je les forcerai bien à y consentir… Une autre chose ! On lit dans votre constitution que je dois prendre avis de la nation ; mais qui a dit que la diète représente la nation ? Où cela est-il écrit ? Pouvez-vous me le montrer !… Par tous les diables, je jure que je mettrai tous ces gens-là à la porte, et je leur ferai voir que je peux gouverner seul mon royaume ! »

Il était cependant plus facile de proférer toutes ces menaces que de les exécuter. Quand le roi donna ordre au comité des finances de préparer une ordonnance pour un impôt de quinze millions : « Votre majesté, lui dit le président, n’en trouvera pas deux. — Maudit pays ! s’écria Gustave en colère. Vous voulez donc tâter de Buonaparte : eh bien ! vous l’aurez, je le souhaite bien sincèrement, afin que le diable vous emporte, vous et lui ; mais en attendant je vous prendrai jusqu’à votre dernier sou ! » Le roi s’irritait ainsi contre toutes les représentations, et en même temps il dédaignait toutes les prières. » Au nom de la patrie, — lui dit le vieux baron Liljecrantz, octogénaire, ministre des finances de Gustave III, — au nom de ce peuple qui a déjà tant souffert, que votre majesté cède aux circonstances, afin de ne pas attirer des malheurs incalculables sur la famille royale et sur elle-même ! — Vous voulez que je traite avec Buonaparte ? répondit Gustave, que je tende la main à cet Alexandre qui m’a lâchement trahi ? Mon honneur, mon caractère, ma religion s’y opposent ; c’est impossible… La Finlande est perdue ; nous la recouvrerons. D’ailleurs je prendrai ma revanche en conquérant la Norvège. Au reste, tout ceci ne peut durer longtemps. La Providence a mis un terme, soyez-en sûr, à la toute-puissance de Buonaparte. La nation souffre, mais du moins elle ne s’est pas avilie. Dieu peut nous secourir au moment même où l’œil humain n’aperçoit plus de ressource… Enfin je ne veux pas mériter la damnation éternelle !… — Sire ! continua le vieillard les larmes aux yeux, le royaume est tout près de sa ruine ; on entend déjà de sourds murmures ; du mécontentement au désespoir il n’y a qu’un pas ; que votre majesté ne tarde pas plus longtemps à convoquer les états et à conclure la paix, ou bien, si ses scrupules religieux l’en empêchent, qu’elle consente à se démettre de la couronne… » Ces derniers mots produisirent sur Gustave une commotion subite ; il y vit la menace d’un attentat qui mettait avec son trône sa vie en danger ; les lèvres tremblantes et les yeux hagards, il frappa avec violence sur la garde de