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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/21

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bien peignée, coupée de haies, et toute colorée des fraîches teintes du printemps de 1776. — Dieu me protège ! pensa-t-il, je vais certainement être pris ; je suis dans le parc de quelque gentilhomme. — Il marcha en avant, et, arrivant près d’une route, il s’aperçut alors que ce qu’il avait pris pour un parc n’était que la campagne anglaise, grand et magnifique parc en effet, enclos par les vagues de la mer. En passant près d’un champ, il aperçut deux êtres humains qui travaillaient. Ces deux personnages aux joues rosées, aux jambes musculeuses, montrant un bas bleu tiré jusqu’au genou, étaient velus de longues tuniques blanches d’étoffe grossière, et portaient des chapeaux de paille à larges bords. Israël ne les voyait que de profil.

— Pardon, mesdames, dit-il en ôtant son chapeau, cette route mène-t-elle à Londres ?

À cette interpellation, les deux personnages se retournèrent et regardèrent avec une sorte d’étonnement stupide Israël, qui de son côté fut aussi surpris qu’ils avaient pu l’être, en s’apercevant que c’étaient des hommes et non des femmes.

— Cette route conduit-elle à Londres, messieurs ?

— Messieurs ! Jolis messieurs, ma foi ! dit l’un des deux.

— Jolis messieurs en effet ! répéta le second.

Les deux paysans posèrent leurs outils, regardèrent curieusement Israël et secouèrent la tête.

— Cette route conduit-elle à Londres, messieurs ? Soyez assez bons pour répondre à un malheureux, je vous prie.

— Oh ! vous allez à Londres ? Oui, c’est la route, tout droit, tout droit devant vous.

Et sans ajouter un seul mot, les deux taureaux humains, après avoir satisfait leur curiosité, se retournèrent avec un flegme extraordinaire, reprirent leurs outils, et se remirent au travail.

Israël, l’instant d’après, entra dans un village tout enveloppé par le silence du matin. Il jeta un coup d’œil à travers les fenêtres d’un cabaret calme en ce moment, et y aperçut les traces des scènes bruyantes de la veille, des bouteilles vides et des pipes éteintes, dont quelques-unes étaient cassées. Il passa, et remarqua les yeux d’un homme fixés curieusement sur lui. Aussitôt il se rappela qu’il portait le costume de matelot anglais, et que c’était là probablement ce qui avait attiré l’attention de cet homme. Il s’éloigna donc en toute hâte, bien résolu à saisir la première occasion de changer de vêtemens. À un mille du village, dans un endroit écarté, il rencontra un vieux terrassier qui succombait presque sous le poids de la pioche et de la pelle qu’il portait sur son épaule. C’était une image vivante de la pauvreté, du travail et de la détresse. Israël s’approcha du vieillard, et lui offrit de changer d’habits avec lui. Le marché