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à la duchesse de simuler un consentement nécessaire à ses projets. À un signal donné pour célébrer le nouvel hymen, comme dit M. Scribe, les cloches sonnent, les Palermitains se soulèvent et se précipitent sur les Français.


Frappez-les tous. Que vous importe ?
Français ou bien Siciliens,
Frappez toujours !
Dieu choisira les siens !


s’écrie Procida en répétant le mot fameux de saint Dominique contre les Albigeois. Telle est la fable conçue par MM. Scribe et Duveyrier, dépourvue, je ne dirai pas de vraisemblance, mais d’intérêt. Le caractère de la duchesse Hélène est complètement manqué ; elle hésite constamment entre le désir de venger la mémoire de son père et son amour assez tiède pour Henri ; celui-ci n’a aucune physionomie, et Procida n’est qu’un tribun vulgaire ; Guy de Montfort seul laisse échapper quelques accens de tendresse paternelle. Les principales situations sont empruntées aux Huguenots, à Robert, à Gustave, à Dom Sébastien, et sont amenées, bon gré mal gré, pour la grande gloire du compositeur.

M. Verdi, qui n’a que quarante et un ans, occupe dans l’histoire de la musique italienne une place toute particulière, qui le distingue, de ses prédécesseurs : depuis Rossini, c’est le compositeur qui a eu le plus de retentissement dans son pays, et il doit sa grande renommée moins encore à son talent incontestable qu’aux circonstances dans lesquelles ce talent s’est produit. L’Italie, il faut bien le reconnaître, est dans un tel état d’irritation morale et d’émotion politique, qu’elle serait incapable de prêter son attention à toute manifestation de l’art qui n’aurait pas les qualités et les défauts dont elle est pénétrée. Beyle faisait déjà cette remarque en 1834 : « l’Italie, écrivait-il de Civita-Vecchia, n’est plus comme je l’ai adorée en 1815 ; elle est amoureuse d’une chose qu’elle n’a pas. Les beaux-arts, pour lesquels seuls elle est faite, ne sont plus qu’un pis-aller ; elle est profondément humiliée, dans son amour-propre excessif, de ne pas avoir une robe lilas comme ses sœurs aînées la France, l’Espagne, le Portugal ; mais, si elle l’avait, elle ne pourrait la porter. Avant tout, il faudrait vingt ans de la verge de fer d’un Frédéric II pour pendre les assassins et emprisonner les voleurs. » Sans discuter ici l’opinion de Beyle sur l’incapacité de l’Italie à jouir au moins de l’indépendance politique, qui est le plus cher de ses vœux, nous nous bornerons à faire remarquer que l’existence du Piémont et le spectacle qu’il donne à l’Europe depuis quelques années prouvent évidemment le contraire. Il est certain que la situation de l’Italie ne la dispose guère à goûter un génie placide et serein comme Raphaël et Palestrina, si elle pouvait en produire de nos jours. Dans une autre lettre que Beyle écrivait de Trieste en 1831, il remarque plus judicieusement que « les Italiens, en fait d’art, veulent du nouveau. Bellini se joue partout aujourd’hui, et les belles dames l’appellent : Il mio Bellini. On parle de Rossini maintenant comme on parlait de Cimarosa en 1815. Admiration immense, mais sous la condition qu’on ne le jouera pas. » Cette fureur de vouloir à tout prix du nouveau, jointe à l’absence de fortes études et d’une ville souveraine qui puisse être le centre de la tradition, jette l’Italie dans les bras du premier joueur de guitare qui vient la distraire de l’ennui qui la