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« ALBERT. — Et que répondra maître Henri à cela ?

« OTTNIT. — Monsieur le bélitre, dira-t-il, je n’ai que faire de vos complimens ; ce château m’appartient, et votre place est à l’écurie.

« FRANZ. — Qu’est-ce là, mon prince ? Je crois que tu te gausses de moi, parce que ma mère n’était qu’une fille de campagne. Et la tienne, s’il vous plaît, qu’était-elle donc ? Une espèce d’aventurière qui a fini par se jeter dans un puits, — tandis que ma mère, à moi, vit encore, et qu’elle a épousé messire Jost, un homme qui a du bien.

« OTTNIT. — Si ma mère s’est jetée dans un puits, c’est du désespoir qu’elle eut de voir ton père s’amouracher d’une servante. Maintenant pas un mot de plus, si tu ne veux que je… C’était un rude et singulier père que le nôtre.

« ALBERT. — Ne dis pas de mal du père ! Quand vous parlez ainsi tous deux, vous pensez qu’il n’est plus au milieu de nous, parce qu’il est mort. Eh bien ! figurez-vous que le bailli l’a vu en personne, et pas plus tard qu’hier sur le midi, marchant dans le jardin et détachant la mousse des arbres du bout de son bâton. Le bailli en a pris si grand’peur, qu’il s’est sauvé à toutes jambes.

« FRANZ. — Le bailli est un vieux poltron et un rève-creux.

« ALBERT. — C’est possible. Il n’en est pas moins vrai que depuis cette aventure, chaque fois qu’on marche dans le corridor, il me semble entendre les pas de feu notre père.

« OTTNIT. — Quelqu’un vient, on dirait en effet son pas.

« FRANZ. — Si c’est lui, que je sois le premier à lui donner le bonjour ! »

Franz se trompait, et lorsqu’il s’élance vers le seuil les bras ouverts, croyant aller au-devant du spectre aimé de son vieux père, c’est contre l’armure de fer du landgrave Henri qu’il se heurte. Henri entre accompagné de son neveu Günther. Pour donner libre cours à sa haine si longtemps refoulée, il n’a pas attendu d’être en présence de ses frères ; la seule vue du château qu’ils habitent a suffi pour remuer en lui l’antique levain des récriminations. C’est l’injure et la menace à la bouche qu’il aborde ses hôtes et prélude à leur expulsion.

« HENRI. — Que faites-vous dans ce château ?

« OTTNIT. — Monseigneur n’ignore pas que son père était aussi le nôtre, et que la volonté de notre père fut que nous eussions après sa mort la garde de ce château, où sa tendresse nous avait rassemblés de son vivant. »

Cette réponse ne désarme pas Henri, et les bâtards seront éloignés du château, malgré cet appel à la volonté dernière du vieux landgrave, qui a voulu, avant de mourir, pourvoir à la destinée de ces enfans de sa vieillesse. Bientôt cependant le chancelier et les membres de la cour se présentent pour prêter au nouveau souverain le serment de foi et hommage, et Henri apprend d’eux, à n’en pas douter,