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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/333

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trouble et le désespoir de Pierre Schlemil, à qui le diable a pris son ombre, reparaît pour dire avant de mourir un suprême adieu à ses amis, l’honnête Géronte ne peut se défendre d’un mouvement de compassion au récit de sa misère. Tout penaud d’avoir inquiété le repos d’un si brave homme, il s’empresse de confesser le stratagème qui lui a si bien réussi, et de jeter à l’eau, comme Polycrate, la merveilleuse pierre à laquelle il doit la certitude désormais imperturbable d’être le moins trompé des Sganarelles.

Presque toutes les petites pièces d’Arnim s’inspirent du vieux répertoire allemand. Celle-ci, dans Ayrer, s’appelle la Reine de Chypre, et le théâtre anglais en contient la première trace. C’est donc presque toujours à d’anciens sujets remis en œuvre que nous avons affaire, et pour l’esprit, le style, la bonne grosse verve comique, le contingent qu’apporte le poète en ces manipulations souvent très ingénieuses ne laisse pas d’avoir son mérite. Le Siège d’Oppenheim et la Délivrance du Wesel sont aussi de fort curieux tableaux de genre, où l’histoire intervient, quoique discrètement, et comme il sied à de pareils ouvrages, lesquels, s’adressant à la foule, doivent nécessairement subordonner le fait historique, que tout le monde ignore, au fait humain, dont chacun de nous trouve dans sa conscience l’instinctive révélation.


III. — LE ROMANTISME EN ALLEMAGNE. — QUELLE PART Y PRIT ARNIM.

Le mouvement romantique, lorsqu’il éclata en Allemagne de 1798 à 1812, était si bien l’expression des idées et des besoins du temps, que son action se fit sentir dans toutes les branches de la science et de l’art. Sans prétendre écrire son histoire, je voudrais, à propos des tentatives littéraires d’Arnim, indiquer ici quelques points généraux, insister en passant sur quelques traits caractéristiques.

Issu de la réflexion et de la science, comment nier l’influence rétroactive que le romantisme exerça à son tour sur la science, de plus en plus poussée vers le naïf et la tradition populaire, de plus en plus entraînée vers le domaine de l’imagination ? Le symbolisme de Görres et de Creutzer, les investigations des frères Grimm, non moins que les tendances d’Arnim et de Brentano, procèdent du romantisme, auquel se rattachent aussi les retours de Schelling vers Jacob Bœhm, et tant de généreux efforts pour fonder une philosophie du christianisme. Prédilections d’artiste, raisons de sentiment ! Il y avait, je le sais, chez tous ces beaux esprits plus d’esthétique et de théorie que de vraie foi, plus d’élan vers la spéculation elle symbole que de conviction dogmatique et de piété. En un mot c’étaient, pour la plupart, d’excellens catholiques, à cela près qu’ils ne pratiquaient