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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/355

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ou néologisme, et pour ne pas prêter à Patelin une locution plus vieille que lui ou plus moderne. Entre ces écueils, l’érudition au goût fin et au tact exercé, l’habitude des textes, la connaissance de l’histoire littéraire sont requises. De tout cela le nouvel éditeur a ample provision. Aussi le Patelin s’en est-il ressenti, et j’ai pris un singulier plaisir à lire ces phrases régulières, ces vers exacts, ce dialogue vif, dans un volume d’une très belle impression et corrigé avec un soin extrême. Voilà, se peut-on dire en tenant le livre et en l’écoutant parler, voilà comme nos aïeux d’il y a trois cents ans causaient entre eux ! Voilà les tournures de leurs conversations, les formules dont ils s’abordaient et se saluaient, les plaisanteries qui leur plaisaient, les allusions qui avaient cours ! Tout cela est très différent de notre langage actuel : les formes, les mots, les locutions ont varié, et il faut quelque habitude (habitude, du reste, qui se prend très vite) pour lire un texte du XVe siècle. Voyez cependant quels changemens considérables un changement graduel et à peine sensible finit par apporter ! Pour arriver à Patelin et pour trouver celui de nos aïeux qui assistait à ces anciennes représentations, il suffit de compter le douzième de nos ancêtres. Dans ce trajet, qui ne comprend que douze personnes, chacun de nous a reçu le français de la bouche de son père, qui le tenait du sien, et ainsi de suite jusqu’au douzième, sans aucune solution de continuité dans la transmission d’un langage toujours compris. Pourtant le changement est devenu à la longue si notable, d’imperceptible qu’il paraît d’une génération à l’autre, que, si nous nous trouvions devant ce douzième aïeul, nous éprouverions quelque peine à suivre son discours et à entretenir conversation avec lui.

Nous venons d’indiquer de quelles difficultés l’éditeur du Patelin avait à se préoccuper. Arrivons à son travail, dans lequel deux parties surtout sont à étudier, — la restitution du texte et les recherches sur l’auteur. C’est sur ces deux points que se portera successivement notre attention.


I

Celui qui a corrigé des épreuves d’imprimerie sait que, plus une feuille est chargée de fautes, plus lui-même en laisse échapper. Au contraire, si l’épreuve qu’il a sous les yeux est déjà très correcte, alors les moindres méprises du typographe lui sautent aux yeux. Il en est de même d’un vieux texte altéré par les copistes. Le Patelin était cette mauvaise épreuve ; M. Génin est ce correcteur pénétrant et attentif qui l’a rendue bonne, et moi, la tenant en main, j’aperçois maintenant les minuties qui jusque-là étaient perdues dans le nombre.