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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/375

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II

La pièce de Patelin est anonyme ; on ne sait qui en est l’auteur. Le XVIe siècle, qui l’a tant goûtée, était là-dessus tout aussi ignorant que nous, et dès la fin du XVe les éditeurs qui l’imprimaient étaient dans l’impuissance de mettre un nom au frontispice. Naturellement M. Génin s’est beaucoup occupé de cette question. Naturellement aussi il l’a trouvée encombrée de toutes sortes d’hypothèses hasardées, et il a fallu faire place nette. La première chose était de déterminer, s’il était possible, des limites en-deçà et au-delà desquelles il ne fût pas possible de reporter cette composition. Quelle est donc la limite la plus reculée ? Au premier abord, un petit détail aperçu par M. Génin pourrait faire croire que la pièce appartient au XIVe siècle, l’auteur paraissant mettre la scène sous le règne du roi Jean. Du moins, c’est seulement sous ce règne qu’on trouve le franc valant seize sous et l’écu valant vingt-quatre sous, comme cela semble ressortir de la vente des six aunes de drap. Pourtant il est impossible que la pièce soit de cette époque. M. Génin s’appuie, pour le nier, sur un arrêt du parlement de Paris qui permet aux confrères de la Passion de rouvrir en 1402 leur théâtre, qui avait été seulement ouvert en 1398. À cet argument, qui a peut-être besoin d’explication (voyez ce que j’ai rapporté plus haut d’Oresme, qui est du XIVe siècle, et qui parle des comédies de son temps) ; à cet argument, dis-je, j’en joindrai un autre qui est tiré du caractère de la langue. On n’a qu’à comparer des textes écrits sous le roi Jean, c’est-à-dire dans le milieu du XIVe siècle, avec le Patelin, et l’on demeurera convaincu que ces textes et la pièce ne peuvent être contemporains : celle-ci est plus récente. Voilà pour la limite au-delà. Voici pour la limite en-deçà : M. Génin a très heureusement mis la main sur un passage décisif. Dans des lettres de rémission, il est rapporté qu’un certain Jean de Costes, se trouvant dans une hôtellerie à Tours, s’étendit sur un banc au long du feu, disant : « Pardieu ! je suis malade. Je veuil couchier céans, sans aller meshui à mon logis. » Sur quoi une personne qui était là reprit : « Jean de Costes, je vous congnois bien ; vous cuidez pateliner et faire du malade pour cuider concilier céans. » L’acte est de 1470. Or, comme ici il est évidemment fait allusion à Patelin contrefaisant le malade, on ne peut douter qu’à cette date la farce n’existât et n’eût déjà gagné assez de notoriété pour que des locutions en eussent passé dans le langage de la conversation.

Telles sont les deux limites entre lesquelles la recherche doit être concentrée : on ne peut remonter au-delà du XVe siècle, on ne peut descendre au-delà de l’an 70 de ce même siècle. Cette remarque