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de pistolet était le signal d’un bouleversement universel, et on voulait éviter ce genre de résultat inattendu. Le vieux duc de Wellington, dont le nom seul était une légion, s’était chargé de la défense de la ville, et avait pris ses mesures avec une expérience aussi politique que militaire. Il avait évité toute occasion de contact entre ses troupes et la foule, et il s’était borné à placer des garnisons dans la Banque, dans la Bourse et dans les principaux édifices publics. La garde des rues était laissée à la police ; mais il y avait ce jour-là une armée volontaire qui à elle seule rendait impossible toute insurrection. Plus de deux cent mille citoyens s’étaient enrôlés comme constables spéciaux ; des citoyens de toutes les classes, depuis le prince jusqu’à l’ouvrier. Cette armée improvisée s’était mise en rang ; devant ses maisons, ses hôtels et ses boutiques, armée du petit bâton des policemen, et ce fut entre ces deux files silencieuses et résolues que les débris de la procession chartiste vinrent expirer aux portes du parlement.

La république française est morte, l’Irlande a disparu ; Feargus O’Connor, le chef des chartistes de 1848, est mort dans une maison de fous ; l’Angleterre est aujourd’hui livrée à elle-même, et ce sont des mouvemens exclusivement anglais, pour ainsi dire indigènes, dont nous avons en ce moment le spectacle. Nous ne voulons point attacher une importance exagérée aux troubles qui viennent, à plusieurs reprises, de jeter l’alarme dans Londres, nous voulons encore moins en attendre des conséquences immédiates ; mais nous sommes convaincu qu’ils sont d’une nature plus grave qu’on ne le croit ou qu’on ne veut le dire. Nous ne parlons point des carreaux cassés le dernier dimanche, ce qui est précisément le côté le moins dangereux, nous pourrions dire le plus heureux pour la tranquillité publique, parce que c’est un avertissement pour les gens sérieux qui s’étaient mêlés au mouvement. Nous parlons des démonstrations des deux dimanches précédens, qui ont eu pour résultat de faire capituler la législature et de forcer la main au pouvoir exécutif. Quand on compare la manifestation de 1855 à celle de 1848, il est impossible de ne pas remarquer entre elles cette différence fondamentale, c’est qu’en 1848 le public prenait parti pour la police, et qu’en 1855 il a pris parti contre elle. Nous disons « le public, » parce que ce mot comprend toutes les classes de la communauté. Or il est certain que la démonstration de Hyde-Park a non-seulement eu pour elle l’assentiment de la masse, mais qu’elle a trouvé des défenseurs dans le parlement, et qu’elle a été appuyée par la presse presque tout entière, presque sans exception. Ce public, qui était proverbialement cité pour prêter toujours main-forte à la police contre toute perturbation de l’ordre, s’est retourné cette fois avec une sorte de rage contre les représentans de l’autorité. Ce vigoureux et comfortable policeman, avec son habit boutonné, son chapeau verni et son petit bâton, ce calme protecteur de la rue, cet ami des bonnes, ce guide de l’étranger, avec lequel nous sommes tous familiarisés maintenant par les voyages et par les images, le voilà devenu pour le peuple un ennemi politique, et