Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

centaine d’arrestations. Les prisonniers furent amenés le lundi au tribunal de Marlborough-Street, qui est présidé par un magistrat très animé, très populaire et très éclairé, M. Hardwirk. En arrivant à la cour, le magistrat trouva les rues encombrées par une foule tumultueuse, et fut accueilli par un mélange d’applaudissemens et de grognemens. De tous côtés on lui criait : Soyez juste ! soyez juste ! Dans l’enceinte du tribunal, il se passa une scène tout à fait anglaise ; c’étaient les défenseurs des prévenus qui faisaient l’interrogatoire des policemen, c’étaient eux qui avaient l’air de siéger et de mettre la justice en accusation. En somme, le gouvernement jugea à propos d’user de douceur, et l’accusation fut abandonnée dans beaucoup de cas. Une vingtaine d’individus seulement furent condamnés à des amendes, ou, à défaut de paiement de l’amende, à quelques jours de prison ; mais le lendemain les amendes se trouvèrent payées par une souscription, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que cette souscription fut faite par des hommes riches, par des défenseurs de l’ordre, qui jugèrent politique d’étouffer l’affaire. On put voir en même temps dans les annonces des journaux des avis ainsi formulés : « L’insulte de Hyde-Park. — Tous ceux qui ont eu à souffrir des brutalités de la police dimanche dernier sont invités à adresser leur plainte et à faire leur déposition dans tel ou tel bureau d’avocat. » Suivaient les noms et les adresses.

Pendant que ces scènes fâcheuses se passaient dans l’enceinte de la justice, la chambre des communes reprenait ses séances, et après l’exemple de l’étourderie elle donnait celui de la faiblesse. Elle n’avait pas voulu céder devant vingt mille hommes, elle cédait devant cent mille ; ce n’était plus qu’une question de force. Ce fut le noble lord Goderich qui demanda au noble lord Robert Grosvenor s’il avait l’intention de persévérer dans son projet de loi, et lord Robert Grosvenor, qui s’était montré si décidé la semaine précédente, s’empressa de déclarer que sa mesure étant incomprise, il demandait la permission de la retirer. L’homme qui ce jour-là comprit le mieux la situation fui un radical, ce fut M. Roebuck, qui, bien qu’opposé au projet de loi, sentit les conséquences désastreuses qu’entraînait dans l’avenir la pusillanimité de la chambre. « Je ne veux, dit-il, faire qu’une seule observation. C’est en présence d’une émeute que le projet de loi est retiré. Je dois dire qu’il est extrêmement malheureux pour cette chambre qu’on y présente des mesures qu’on est obligé d’abandonner en face d’une violente ébullition populaire. » Ces brèves paroles produisirent une grande impression sur la chambre, au dehors, l’impression générale fut plus vive encore. Les journaux, qui, en Angleterre, peuvent véritablement s’appeler les organes de l’opinion publique, prirent en majorité le parti de l’émeute contre la loi. Le premier de tous, le Times, célébra ouvertement la victoire populaire, et il dit : « Les Londoniens se sont débarrassés du bill du dimanche, en se dispensant de tous ces procédés dilatoires qui font des délibérations