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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/532

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Mathias Corvin nous raconte que lorsque ce roi la ramena de Vienne après l’avoir rachetée des mains de Frédéric III, les Hongrois voulurent la traîner avec des rubans et des guirlandes comme si c’eût été Dieu même, et que les paysans accoururent des cantons les plus éloignés pour la reconnaître et se prosterner devant elle. Aujourd’hui encore, malgré tant de révolutions et de si grands changemens dans les mœurs, tout son prestige n’est pas évanoui. Durant la dernière guerre, les insurgés vaincus l’avaient enterrée au pied d’un arbre dans un lieu désert, pour la soustraire à la possession de l’Autriche. L’Autriche a tout fait pour la retrouver, et un Magyar l’a livrée à prix d’argent. Le jour où ce palladium de la Hongrie a pu rentrer dans la chapelle de Bude au milieu d’une armée autrichienne et au bruit des salves d’artillerie, dans l’appareil d’un roi restauré, a été un beau jour pour l’Autriche. « D’aujourd’hui seulement, disait un ministre de cette puissance, nous recommençons à régner en Hongrie. »

Le souvenir du grand roi des Huns continua à se rattacher pendant tout le moyen âge aux destinées de la sainte couronne. Un annaliste hongrois rendant compte du couronnement de Rodolfe en 1572, et voulant donner une haute idée de l’appareil royal qui s’y déploya, en résume le tableau par ces mots : « On eût cru assister à une fête du roi Attila. »


III. — ÉPÉE D’ATTILA. — DERNIÈRES TRADITIONS EN HONGRIE ET EN ORIENT.

La Hongrie possédait au XIe siècle ou croyait posséder une bien précieuse relique d’Attila, son épée, qui, disait-on, n’était autre que l’épée de Mars, idole des anciens Scythes, découverte jadis par une génisse blessée, déterrée par un berger et portée au roi des Huns, qui en avait fait son arme de prédilection. « C’était, dit un vieux chroniqueur allemand, le glaive qu’Attila avait abreuvé du sang des chrétiens ; c’était le fouet de la colère de Dieu. » On y attachait l’idée d’une force irrésistible et de la domination sur le monde, et les Hongrois, tout bons chrétiens qu’ils étaient, gardaient l’épée de Mars dans leur trésor national presque aussi religieusement que la sainte couronne. Or il arriva que le jeune roi Salomon, fils d’André Ier, ayant été chassé du trône par une révolte des magnats en 1060, et rétabli en 1063 avec l’assistance d’Othon de Nordheim, duc de Bavière, la reine-mère n’imagina rien de mieux, pour prouver sa reconnaissance au duc de Nordheim, que de lui offrir cette épée, qui promettait à ses possesseurs la souveraineté universelle. Othon, parvenu en peu de temps à une haute fortune, avait encore plus d’ambition que de bonheur ; il accepta le don avec empressement, le conserva toute sa vie et le légua en mourant au jeune fils du marquis Dedhi, qu’il aimait beaucoup. Des mains du jeune marquis, mort prématurément,