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l’ont jugé obscur ; on l’a comparé au style d’Homère pour la quantité de mots nouveaux faits avec des mots anciens réunis. Cependant il y a là un cercle vicieux dont on ne s’est pas assez préoccupé. Le dialecte dans lequel les œuvres de la collection sont écrites pourrait être d’un certain secours. Presque tout malheureusement est écrit en dialecte ionien ; du temps d’Hippocrate, ce dialecte était la véritable langue scientifique que la philosophie ionienne avait mise à la mode, comme Platon fit peu après pour le dialecte attique. Souvent d’ailleurs un auteur changeait de dialecte. Il y avait quatre genres d’ionien. La langue employée dans la collection se rapproche de l’ionien d’Hérodote ; mais Hippocrate était dorien ; on ne peut donc, par le lieu de sa naissance, déterminer comment il devait écrire. Les écrivains de ce temps avaient le singulier privilège de pouvoir se servir dans le même pays de trois ou quatre langues différentes. Voilà donc encore un élément de critique qui n’est ni bien utile, ni bien positif. Quant aux connaissances qui pourraient servir à déterminer l’authenticité, elles ont peu varié dans les cent années qui séparent Hippocrate de la fondation de la bibliothèque d’Alexandrie. Il n’y a eu dans ce siècle aucune de ces découvertes qui changent la face de la science. Enfin les opinions même soutenues dans les livres ne peuvent pas non plus être d’un grand secours. Les théories de tous les médecins de Cos devaient se ressembler beaucoup, et ce système ne ferait rejeter de la collection que le traité des Affections internes et le second livre des Maladies, qu’il est impossible de ne pas attribuer au rival d’Hippocrate, au chef de l’école de Cnide, Euryphon. Quant aux légères différences de doctrines que l’on trouve dans les autres traités, elles pourraient à la rigueur s’expliquer par les progrès que faisait chaque jour Hippocrate dans une science assez nouvelle. Qui pourrait affirmer aujourd’hui qu’un même homme ne peut avoir eu dans sa vie deux opinions opposées sur la science, l’histoire ou la politique ?

Ainsi le plus sûr est, comme je l’ai dit, d’attribuer à Hippocrate ce qui est bon, aux autres ce qui est médiocre. Aucun des systèmes proposés par les commentateurs anciens et modernes, par Galien, Mercuriali, Grumer, Costei, Grimm, par M. Lihk et M. Petersen ne paraît préférable. À peine peuvent-ils servir à écarter quelques traités médiocres que l’on rejetterait dès le premier abord, et lorsqu’on sait à quelles erreurs l’érudition a pu se laisser entraîner, lorsqu’on se rappelle que Scaliger lui-même a publié quelques iambes de Muret comme provenant d’un ancien auteur grec, que Boxhornius a pris des vers de Michel de l’Hospital pour un poème antique, on est saisi d’une grande défiance. On peut déduire pourtant de toute la collection une théorie qui a traversé les siècles sous le nom de théorie hippocratique, et qui, bien que fort célèbre, est peu connue.