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de la vie, une solution consolante du problème de notre destinée plus encore qu’une vérité supérieure aux doutes de la raison. Recueillie et aussi chaste par la pensée que dans ses actions, elle ne se rendait pas compte de la nature de ses sentimens sur des questions aussi redoutables. Elle priait, s’humiliait, mais sans trouver peut-être dans l’accomplissement de ce devoir de bienséance publique l’apaisement intérieur qui faisait la force et le bonheur de Catarina Sarti. Mélange de grâce et de tendresse, d’abandon et de dignité, le caractère de Beata répugnait à tout ce qui est extrême, et elle apportait dans toutes ses actions cette réserve pleine de charmes où l’on reconnaissait la fille d’un patricien. Sa religion, qui n’avait rien de bien précis ni d’austère, était comme l’épanouissement d’une âme élevée qui se complaît dans le culte des sentimens aimables ; ses prières montaient au ciel comme un encens et se confondaient avec le souffle de l’amour.

Lorsque Beata s’aperçut que Lorenzo était moins assidu à ses études et qu’il passait des journées entières hors du palais, elle fut saisie d’une inquiétude extrême. N’osant pas questionner directement l’abbé Zamaria sur les nouvelles relations qu’avait pu contracter son jeune élève, elle prenait des détours ingénieux pour s’éclairer sur le sujet qui la préoccupait si vivement. Le soir, elle épiait avec anxiété l’arrivée de Lorenzo : si elle ne l’entendait pas marcher dans sa chambre, qui était au-dessus de son appartement, elle était agitée et sonnait sa camériste sous un prétexte ou sous un autre, pour avoir l’occasion de parler de lui.

— Teresa, dit-elle un soir au moment de se coucher, Lorenzo est-il rentré ?

Signora, répondit la camériste sans se douter de l’effet produit par ses paroles, il signor Lorenzino n’a plus besoin qu’on s’inquiète de son sort ni qu’on lui indique son chemin. Il connaît maintenant Venise mieux que vous et moi, et, si jamais il se perd et tombe dans les lagunes, soyez sans crainte, les gentidonne, et surtout la belle Vicentina du théâtre San-Benedetto, iront le pêcher elles-mêmes jusqu’au fond de l’Adriatique.

Demeurée seule après cette remarque de Teresa, qui avait projeté dans son cœur une clarté sinistre, Beata se sentit défaillir. Elle se jeta sur un canapé qui était auprès de son lit, se couvrit le visage de ses deux mains, et resta comme anéantie par le coup qu’on venait de lui porter. Elle aurait voulu pleurer, mais sa douleur était trop forte pour laisser un passage à des larmes qui l’auraient soulagée. Oh ! qu’elle eût été heureuse si elle avait pu s’agenouiller aux pieds d’une madone et lui confier le secret de sa vie !

Le lendemain de cette nuit, qui parut un siècle à la noble fille,