Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/582

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un grand nombre de procurateurs de Saint-Marc, d’ambassadeurs et de personnages considérables qui, presque tous, s’étaient fait remarquer par l’éclat et la magnificence des habitudes, C’est à un Grimani qu’avait appartenu ce fameux bréviaire enrichi d’or et de pierres précieuses où les peintres flamands qui vinrent à Venise vers le milieu du XVe siècle, Heminclinck de Bruges, Gérard de Gand et Livien d’Anvers, déposèrent les premiers germes de l’alliance antique et encore mystérieuse qui a existé entre la patrie de Titien et celle de Rubens. C’est également au cardinal Domenico Grimani qu’appartenait la riche bibliothèque du couvent Sant Antonio qui fut brûlée en 1687. La famille Grimani avait fait construire trois théâtres à ses frais, et c’est sur le théâtre particulier du palais Grimani que fut représenté le 25 avril 1569 i Pazzi amanti, un des premiers opéras bouffons que mentionne l’histoire. Du reste toutes les grandes familles vénitiennes avaient le goût des choses de l’esprit, et considéraient comme un devoir de leur haute position de protéger les arts qui relèvent et embellissent la vie. Leurs palais étaient de véritables académies où la peinture, la poésie, l’art dramatique et surtout la musique concouraient à l’éclat de l’existence, dont les nobles faisaient un moyen de gouvernement. Parmi les protecteurs les plus zélés de l’art musical, qui fut toujours si florissant à Venise, nous pouvons citer Sébastien Michèle, ami de Pierre Aaron, l’auteur célèbre du Toscanello della musica, qui a précédé Zarlino dans la théorie du contrepoint ; Cornaro, évêque de Padoue sur la fin du XVIe siècle, qui attira dans la cathédrale de cette ville les meilleurs chanteurs et instrumentistes de son temps ; Veniero, qui, pour se distraire de la goutte qui le tourmentait, faisait venir chaque jour autour de son lit de douleur une brigata d’habiles musiciens ; un autre membre de la famille Cornaro, qui, ambassadeur à Vienne dans les premières années du XVIIIe siècle, protégea Porpora et la jeunesse d’Haydn ; Contarini, qui, dans sa villa de Piazzola, avait un théâtre charmant où l’on jouait l’opéra tout l’été ; enfin Andréa Erizzo, dont la villa délicieuse de Pontelongo était le rendez-vous des meilleurs dilettanti et des virtuoses les plus célèbres de l’Italie. Il était également dans les habitudes des grandes familles vénitiennes d’avoir à leur service un compositeur renommé pour diriger leur chapelle particulière et présider aux fêtes qu’elles donnaient souvent dans leurs somptueux palais. Galuppi avait été l’organiste de la famille Gritti, il avait été aussi l’ami et le commensal de la famille Grimani, qui le considérait comme un client de la maison. L’anniversaire de sa naissance était donc le prétexte de l’accademia qui devait avoir lieu sous peu de jours au palais Grimani, et où l’abbé Zamaria, qui avait beaucoup connu Galuppi, devait lire un